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dimanche 20 décembre 2015

[Portrait #2] Sarah Bernhardt, le début des icônes modernes.

Agnès Sorel, Diane de Poitiers, Nell Gwyn, ces nom ne vous sont plus inconnus, et le statut d'icône, son commencement, son histoire, vous est plus familier. Mais comment clôturer ce chapitre sans aborder le flamboyant XIXe siècle qui vient, à l’apogée de la culture mondaine, renforcer et ancrer définitivement la "star", l'icône absolue dont les hommes font l'éloge et que les femmes admirent, envient, jalousent même parfois ? 

C'est l'histoire de l'une d'elle, de son statut de muse au sein de son siècle de lumière, que nous allons découvrir aujourd'hui, et pas des moindre puisqu'il s'agit de la grande actrice Sarah Bernhardt pour laquelle fut inventé le terme de "monstre sacré", encore utilisé de nos jours. 

Le mythe de cette grande actrice française semble encore plus romanesque lorsqu'on connait la grandeur de ses contemporains et le fait qu'elle les aie en plus côtoyés, invités à sa table et même inspirés. De Victor Hugo à Marcel Proust en passant par Gustave Doré, Sarah Bernhardt à vogué au sein de ces esprits brillants, évoluant comme un poisson dans l'eau au milieu des mondanités et de l'excellence d'un Paris au sommet de son art. 


Sarah Bernhardt, Alfred Mucha.

Notre héroïne voit le jour à Paris, en 1844, c'est en tout cas ce qui ressort le plus souvent des textes, car comme Nell Gwyn précédemment évoquée, les conditions de naissance de Sarah ainsi que l'identité de son père restent floue.
Néanmoins, très tôt, son destin de comédienne semble tracé. Après un passage au couvent à Versailles ou elle se destine brièvement à la vie monacale (bien que juive, elle reçu le baptême chrétien à l'adolescence), le duc de Morny, amant de sa tante chez qui elle est élevée, souffrant de son excessive mère, décide de s'occuper de son éducation. Elle passera le concours du conservatoire à 14 ans où elle fut reçue haut la main. Sa carrière est déjà lancée.

Nous n'allons pas revenir sur l'immense palmarès de Sarah Bernhardt, car la liste de ses pièces à succès semble interminable et vous la trouverez aisément, mais nous allons plutôt nous concentrer sur sa personnalité, une formidable personnalité collectionnant les amants brillants et l'ayant emmenée au premier statut officiel de "star", à ce moment-là plus accessible avec le journal, la photographie, les débuts balbutiants du cinématographe.

Sarah Bernhardt au début de sa carrière, 1864, Nadar.

A peine lancée, Sarah impressionne. Elle a un physique gracieux, on ne peut pas dire qu'elle soit belle, mais son charisme charme et intrigue. De grands yeux sombres, le nez busqué presque aristocratique, une bouche fine et un profil racé, son port de tête est noble, sa silhouette envoûte les messieurs et sublime toutes ses tenues. Jusqu'à sa mort à l'âge de 79 ans et malgré une amputation de la jambe, la comédienne cultive son style raffiné à l'excès. Associée à la formidable mode de la fin du XIXe, l'apparence de Sarah Bernhardt, sa confiance en elle et son port de reine achèvent de l'ériger au statut de muse d'artiste, le plus connu étant Alfred Mucha, Oscar Wilde mais également Marcel Proust ou l'immense Victor Hugo dont on dit qu'elle fut l'amante. 

Amante justement, Sarah Bernhardt le fut beaucoup, bien plus que mère, d'un unique fils qu'elle eut à l'âge de 20 ans avec l'aristocrate Henri Maximilien Joseph de Ligne et qui deviendra à son tour un dramaturge reconnu. Collectionnant les conquêtes, femme de deux maris, elle aurait également monnayé ses charmes à plusieurs hommes politiques ou hommes d'influence et de passage. Sur ce point néanmoins, comme nous l'avons déjà vu, il est facile d'accorder le discrédit à une femme populaire.

Sarah Bernhardt, 1905 Reutlinger.

La personnalité de Sarah Bernhardt est extravagante, on la dit de plusieurs sources, incroyablement fantasque et menteuse, inventant contes et histoires et améliorant sa vie au fil de ses récits à tel point que, loin de s'en cacher, elle en use pour accroître son mythe. Toujours suivie par une myriade d'amis, souvent qualifiés de parasites par un entourage critique, sa maison parisienne est pleine de ces mondains, artistes pour la plupart, qui se délectent de sa prose et de sa grande fortune. Le jeu de Sarah est franc, très investi, parfois dans une forme d'excès, allant jusqu'à se blesser à plusieurs reprises au cours de ses répétitions, ce qui contribue largement à son succès et à la création de son mythe. Comme nombreuses de ses contemporaines, notre formidable actrice surfe sur l'adoration du siècle pour le morbide, d'autant qu'elle traîne la tuberculose depuis un moment, ce qui lui donne un teint blafard tant prisé à l'époque, ainsi qu'une espérance de vie qui aurait pu s'en trouver réduite. Elle se plait à se reposer dans un véritable cercueil. Cela choque la population parisienne ? Et que penseraient-ils si elle se faisait photographier dedans et en vendait des cartes postales ? L'idée a de quoi surprendre, et pourtant, Sarah Bernhardt ne fait qu'inventer ce qui est très courant aujourd'hui : la mise en scène jour après jour de son propre culte, de sa vie, à des fins que certains disent narcissiques, d'autres comme étant une formidable direction marketing. En 1912, à la fin de sa vie, elle illustre même sa personne dans un film autobiographique, l'un des premiers, "Sarah Bernhardt à Belle-Île".
"Sarah Bernhardt, à qui une jeune comédienne a déclaré qu'elle avait déjà joué plusieurs fois et qu'elle n'avait même plus de trac, aurait alors répondu : « Ne vous en faites pas, le trac, cela viendra avec le talent »."

Il faut dire que le tout Paris de la seconde moitié du XIXe siècle raffole des mondanités. Le théâtre prend une forme plus noble, côtoyer des artistes est le sommet du raffinement et chacun se presse autour des romantiques, s'affiche avec un homme politique, se presse aux ventes de charités ou dans les salons privés où l'on joue, parle philosophie avec plus ou moins de talent. La grande mode étant d'aller prendre les eaux dans les stations thermales où les galants se rencontrent, se retrouvent, agrémentant le quotidien et les discussions autour des nouvelles têtes du beau monde.

Tenue de mondaine, 1890.


La mondaine n'est plus forcément une femme d'aristocrate. Comme Sarah Bernhardt, issue d'une mère courtisane et modiste, elle peut être issue de tous milieux, avoir fait un chemin au sein de la bonne société en tant qu'artiste, parfois intellectuelle ou le plus souvent comme amante d'un charmant (ou pas nécessairement charmant, on en conviendra) époux aux relations bien placées. La mondaine reçoit beaucoup, souvent dans son hôtel particulier ou se fait inviter chez les autres, les places les plus en vue étant tenues par l'ancienne noblesse, s'y faire recevoir est toujours un privilège. Les œuvres de charité occupent également une grande place ; il est à la mode de donner de ses deniers pour aider le Paris crasse, mue parfois d'une véritable implication chrétienne mais souvent profitant du petit effet que la bienveillance offre aux dames de haut rang. Les journées sont occupées à la toilette, au choix des derniers accessoires à la mode, on se presse chez les chapeliers, gantiers et sur ces boutiques de nouvelles lingeries fines très en vue. Le soir, le théâtre reste une source sûre d'amusement, tout comme les salons de jeu, l'opéra et bien entendu, les bals toujours nombreux : il faut en effet rentabiliser l'achat de nouvelles toilettes en les exhibant au plus grand nombre.
Si aujourd'hui ces activités peuvent nous paraître extrêmement futiles, il faut bien le dire, les femmes n'avaient guère le choix, étant nées dans ces univers de fête et de richesse ou n'ayant que pour but de s'y intégrer pour fuir une vie de labeur réservée à celles qui n'avaient pas la chance de leur insolence. La maternité est loin d'être une priorité, les avortements illégaux sont nombreux, comme on le verra prochainement, et une fois l'enfant né, il est aussitôt confié à une nourrice, souvent en province jusqu'à ce qu'il ait l'âge d'être un atout, particulièrement si c'est une jeune fille à marier et à présenter au monde. Les maris et les amants s’enorgueillissent de leurs épouses, leur laissant de belles sommes à dépenser comme activité principale, car plus la femme est présentable, plus la réputation de monsieur est assurée.

"Une soirée" Jean Béraud, 1878.

Les plus affables se contentent bien de cette vie oisive, mais Sarah Berhnardt tient à sa liberté, et comme quelques-unes de ses contemporaines, les intellectuelles notamment, à l'image de George Sand un peu avant elle ou des artistes comme Camille Claudel, elle met un point d'honneur à non seulement gouverner son petit empire seule, mais également à exercer un emploi à plein temps – ici celui de comédienne. Cette force de principes constituera à forger son mythe mais également à la décrédibiliser, car si l'icône fascine, elle n'en reste pas moins peu fréquentable par la haute société, car on la dit souvent débauchée – n'oublions pas que jusqu'au milieu du XXe siècle, une femme qui a ouvertement une activité sexuelle est immédiatement cataloguée comme fille de petite vertu – et pourvue de mauvaises fréquentation.
Et il faut dire que Sarah Bernhardt en joue. Elle est proche de son enfant, vit seule une bonne partie de sa vie et achète d'extravagantes demeures à l'instar de son incroyable propriété de Belle-Île-en-Mer au large du Morbihan, fort qu'elle surnommera "les cinq parties du monde" tant la décoration est axée sur ses souvenirs de tournée à l'international. Vous pouvez d'ailleurs, si vos pas vous y emmènent, visiter le musée consacré à ses objets personnels au musée de la Citadelle Vauban.
Durant ses vacances sur l'île, elle invite des dizaines d'amis, ponctue ses journées de promenades et d'activités physiques, plutôt mal vues à l'époque, et comble de l'extravagance, s'entoure d'une véritable ménagerie composée d'une dizaine de chiens, d'oiseaux, d'animaux exotiques allant jusqu'à cohabiter avec des reptiles et, dit-on, adopter des lionceaux. Sarah Bernhardt crée le culte de la personnalité, s'amuse des on-dit, en rajoute même parfois dans ses mises en scènes toujours très théâtralisées d'elle même, même lorsqu'elle n'est pas en représentation.

Elle perd sa jambe à la suite d'une gangrène sur un genou plâtré et continue malgré tout à jouer assise, se faisant transporter en chaise à porteurs dans les tranchées durant la Première Guerre mondiale pour remonter le moral des troupes, un spectacle qui devait assurément redonner le sourire aux malheureux combattants.
En 1926, cette femme libre et excentrique décède dans son fief parisien, entourée de son fils. On la dit seule et abandonnée de tous, elle continuera pourtant à tourner jusqu'aux dernières semaines de sa vie. Gratifiée de la Légion d'honneur, Sarah Bernhardt est inhumée au cimetière du Père Lachaise et bénéficiera, fait rare pour une femme surtout à l'époque, de funérailles nationales.

Sarah Bernhardt mise en scène dans son cercueil lui servant occasionnellement de lit.

Aujourd'hui encore, l'icône Bernhardt est considérée comme la première star internationale du monde. Avec le cinéma suivront beaucoup d'autres, la diffusion de l'art s'élargissant au grand public et permettant notamment aux américaines de se démarquer sur le terrain de la médiatisation. L'éclat à la française cessera progressivement de briller, laissant derrière elle les toutes premières, Reines et Maîtresses royales, puis les artistes et les actrices, afin de laisser la place à une nouvelle forme de représentation et de culte de l'image avec les films parlants et la musique.
Les inégalités se creusant dans le monde, et avec elles leur médiatisation, l'étalage de richesse et d'extravagance paraît mal placé, mais il a été le point de mire d'une société entière qui a inspiré un nombre considérable d’œuvres en faisant l'apologie comme les superbes toiles de Jean Béraud retraçant ce que la Belle Époque avait de plus fin, ou la décrédibilisant à l'instar de Madame Bovary par exemple, de Gustave Flaubert, très critique envers ce monde qu'il considérait comme superficiel et arrogant.

Psst :
- Envie d'en savoir plus sur Sarah Bernhardt ? Ca tombe bien, elle a écrit son autobiographie !
- Une jolie balade dans Paris entre 1830 et 1910 avec ce livre très bien documenté.
- Madame Bovary, une critique acerbe de la mondanité, à lire absolument une fois dans sa vie.

dimanche 13 décembre 2015

[Portrait #1] Nell Gwyn, l’ascension par les charmes.

Londres 1660, la population se divise en classes et l'organisation politique du pays est bouleversée par la restauration anglaise qui tend à se mettre en place. Olivier Cromwell, chef du parlement protestant, nommé Lord Protecteur, rassemble des adeptes et chasse Charles Ier d'Angleterre du pouvoir, le fait décapiter et force son fils à l'exil. Ce dernier reviendra triomphant avec l'aide de ses chefs militaires – qu'il gratifiera de belles propriétés au sein du nouveau monde – à la mort de Cromwell, acclamé par les royalistes.

Mais la petite Nell Gwyn, qui naît vraisemblablement en février 1650, est bien loin de ce monde aristocratique aux enjeux capitaux fait de trahisons et d'alliances. Elle voit le jour sous le prénom d'Eléonor et personne à ce jour n'a pu établir avec certitude si son nom de famille lui a été légué par son père, dont on ne sait rien si ce n'est qu'il est décédé en prison, ou par l'inspiration de celle qui le porte. Dans les bas fonds de Londres, Nell a une sœur, Rose, et sa mère, alcoolique notoire qui finira d'ailleurs noyée dans un fossé dans un état d'ébriété avancé, est tenancière d'un bordel où elle fait à l'occasion travailler ses deux filles pas encore pubères. La jeune Eléonor, une jeune fille brune aux yeux bleus, le nez un peu fort, le front haut et la poitrine opulente, vend également des harengs, parfois des huîtres ou des navets à la criée.

Rien dans ce décor puant et malsain du Londres du XVIIe n'aurait dû appeler Nell Gwyn à devenir la plus célèbre des maîtresses de Charles II d'Angleterre.

Le Théâtre Royal de Drury Lane au XIXe siècle

Et pourtant, on est en 1662, le destin d'Eléonor va changer alors qu'elle fait la connaissance du mal dégrossi Duncan, un bourgeois de petite zone qui va lui ouvrir les portes de la sensualité précoce, et surtout, du théâtre.
Le théâtre, c'est l'amusement du pauvre et du riche, la distraction du peuple, chacun s'y presse tout en conservant une distance raisonnable avec ces artistes que l'on dit saltimbanques, aux moeurs douteuses, à la vie dissolue. Sous le protectorat de Cromwell, le théâtre fut interdit car jugé trop frivole et contraire aux principes austères du protestantisme, une mesure que s'empresse de supprimer le jeune Charles II qui considère qu'il est temps de rendre au siècle sa part de jeu et d'amusement.
C'est ainsi que Nell intègre l'établissement de Thomas Killigrew, le Théâtre Royal de Drury Lane. Néanmoins, ce n'est pas comme actrice que Mary Meggs, ancienne prostituée employée du théâtre, va embaucher Nell et sa sœur Rose, mais bien comme vendeuse d'oranges et de fruits, peu vêtues, déambulant entre les gradins, ravissant le public de phrases cocasses sur le spectacle et ses auteurs. Notre jeune ambitieuse s'amuse beaucoup, rapportant les messages des galants aux actrices, des actrices aux galants, observant le jeu des femmes et maîtresses, pouvant admirer de loin le roi et sa cour venus assister à la représentation, passant ses soirées sur les genoux des artistes dans de folles nuits en coulisses ou l'on parle politique et art en buvant plus que de raison.

Nell Gwynn, Verelst, 1666
Nell commence à se faire remarquer, elle lit mal, n'est pas instruite mais elle a le pied fin pour la danse, le regard vif, l'esprit clair, un grain de voix agréable et surtout, elle est subjuguée par les actrices, nouvelles coqueluches du théâtre alors que leur rôle était exclusivement tenu par des hommes dans les siècles précédents. Elle a 14 ans quand Killigrew décide de lui donner sa chance et de lui offrir des cours de danse et d'élocution avec celui qui deviendra son nouvel amant, puis partenaire de jeu, Charles Hart.
Le pari s'avère gagnant. Cette gamine des rues, sauvage et imprévisible apprend vite et charme son auditoire rapidement. Agrémentant sa prose de piques bien senties, elle éclaire les cœurs et fait venir les spectateurs nombreux.
Néanmoins une ombre plane sur Londres et un matin de juillet 1665 la terreur s'installe dans les foyers. Une croix est apparue sur une porte, cette croix funeste annonçant la peste. Dès lors, ce sont des milliers de foyers qui seront décimés entre 1665 et 1666 divisant la population de 20% soit environ 80 000 morts. La peste est partout, les chariots funéraires entraînent les cadavres pourrissants matin et soir vers les fosses communes, et les théâtres sont amenés à fermer leurs portes.
Le roi Charles II décide de s'éloigner de la ville avec sa cour. Il prend le départ pour Oxford où le rejoindront de nombreux acteurs, payés pour le divertir, et bien sûr, même si elle n'est pas encore officiellement remarquée par sa majesté, Nell fera partie du voyage.

Londres en feu, 1666 artiste inconnu

C'est à la fin de l'année 1666 alors que la peste commence à reculer que les théâtres rouvrent leurs portes. La popularité de Nell, qui est l'une des premières actrices à oser se travestir en homme pour les besoin d'un rôle, ne décroît pas et, couchant au gré de ses envies avec les investisseurs et les artistes, elle multiplie les succès et les audaces. C'est au bras de Charles Sackville dit Buckhurst, acteur satirique, charmant et spirituel, que la jeune femme, alors âgée de 16 ans à peine, rejoint fréquemment la cour pour des représentations hautes en couleur devant ces messieurs et dames du monde.
Sa présence piquante commence à éveiller les sens du monarque, âgé alors de 36 ans et notablement homme à femmes.
Mais c'est à un autre homme qu'elle doit son ascension, que l'on aime appeler "un intrigant", le second Duc de Buckingham, homme d'État, conseiller de confiance du roi et auteur de pièce à ses heures perdues. Buckingham supporte mal l'influence de la nouvelle maîtresse du roi, Barbara Palmer. Dite arrogante, vicieuse et vulgaire, elle mêle son avis à toute décision et s'avère dangereuse dans les décisions diplomatiques. Alors qu'à cela ne tienne, notre homme décide de pousser la belle actrice dans les bras du souverain afin d'éloigner cette maîtresse gênante. Nell accepte mais à la condition d'être bien payée, trop bien payée. C'est finalement Moll Davis, également actrice de théâtre et rivale farouche de Nell qui sera choisie, et ça marche. Le roi entretient une liaison avec cette femme plus légère et moins ambitieuse que Barbara, arrangeant bien les affaires de Buckingham.

Barbara Palmer, Sir Peter Lely, 1666
C'était sans compter sur le tempérament de feu de Nell qui, blessée dans son ego, redoublera de charme pour intéresser sa Majesté, et de ruse pour se débarrasser de Moll Davis au point de lui concocter un cocktail laxatif du tonnerre un soir ou elle était attendue dans le lit du roi !

Enfin, à 18 ans, Nell se glisse dans le lit de Charles II qu'elle appellera affectueusement "Charles le IIIe" en privé car rappelez-vous, elle a un faible pour les Charles ! Au nez et à la barbe de la distinguée Catherine de Bragance, la reine, Nell mène à présent une vie d'amusement, de luxe, faite de relations spirituelles et d'une liaison passionnée avec ce monarque dont elle est puissamment éprise.
Bien que nullement la seule à partager son lit, elle est en cette époque sa petite favorite, toujours de bonne humeur, l’œil mutin et la remarque acerbe. Expérimentée au lit, elle n'a pas froid aux yeux, ce qui divertit le souverain, attristé par les très nombreuses fausses couches de sa femme.
En 1670 Nell donnera naissance à son premier fils, le 7e de Charles, presque tous issus de maîtresses différentes.
Néanmoins, l'avenir de la jeune mère est précaire aux côtés du roi, et l'arrivée de France de la belle et racée Louise de Kéroualle lui imposera nombre de crises de jalousies, enviant sa beauté et la distinction que seule les familles nobles possèdent et dont elle, la vendeuse d'oranges, est bien dépourvue. Pour se changer les idées et séduire à nouveau le roi, Nell décide en 1671 de revenir sur scène pour un ultime rôle qui se jouera à guichet fermé. Une maîtresse royale sur les planches, on avait encore jamais vu ça à Londres. Ce sera son dernier rôle, clôturant une courte mais triomphale carrière théâtrale de 7 ans.

Nell Gwyn par Simon Verelst, 1680

Les différentes techniques de Nell pour rester dans le giron du roi fonctionnent et il lui offrira sa première maison peu de temps après son arrêt au théâtre. Elle lui donnera à cette suite un second fils, James, envoyé rapidement en France et mort sur place dans des conditions troubles. Elle obtient également le titre de Duc pour son premier enfant, Charles. Plusieurs théories circulent sur son obtention mais voici ma favorite :
Alors que le roi vient rendre visite à son petit Charles, sa mère l'appelle et lui dit "Venez donc embrasser votre père mon petit bâtard.", ce qui ne plait guère à son géniteur. "Mais sire, vous ne me donnez aucun autre titre pour lui." aurait renchéri la maligne qui voit aussitôt le garçonnet affublé du titre de Duc de Burford.

Néanmoins le conte de fée prend fin rapidement pour Nell qui, en 1685, voit mourir Charles II à l'âge de 55 ans tandis qu'elle n'en a que 35. Selon les dernières volonté du souverain à son successeur, Jacques II ("Ne laissez pas mourir de faim la pauvre Nell Gwyn"), celle ci se voit accorder une pension de 1500 livres par an, ainsi que le remboursement de ses dettes de jeu et d'investissements frivoles.
Elle s'éteint néanmoins pauvre, à force d'excès, d'une crise d'apoplexie mise sur le compte de la syphilis à l'âge de 37 ans, laissant un curieux héritage à la prison de Newgate.

Comme de nombreuses maîtresses royales, Nell Gwyn sera dépensière, obnubilée par son apparence et le gout du luxe, décorant sa maison personnelle en faisant fi de toute considération financière. Les chroniqueurs, qui n'aiment guère les filles de bas étage usant de leurs charmes, qui n'aiment guère les femmes de caractère à vrai dire, diront d'elle qu'elle avait la tête vide, une fille de rien de plus dans le cœur de ces monarques ayant besoin de distraction. En vérité, elle se distinguera par sa fougue, son bon mot (elle dit un jour à son cocher, qui se battait pour elle avec un autre homme l'ayant insultée de prostituée, "Mais je suis une pute ! trouvez donc un autre motif pour vous battre !") et son ambition. Elle se hissera, grâce à sa malice et à son amour du théâtre, des rues mal famées de Londres jusqu'aux salons confortables de Whitehall, la résidence royale, et laissera une empreinte certaine dans le règne du dernier Stuart comme étant sa maîtresse la plus mémorable.

Psst :
- Envie d'un bon roman sur Nell Gwyn ? Je vous conseille "Journal d'une Courtisane" de Priya Parmar, dévoré en une semaine.
- La grande peste de Londres suivie de son incendie exceptionnel, les mœurs de la cour de Charles II et son univers enivrant vous intéressent ? Alors courez lire les deux excellents tomes de "Ambre" par Kathleen Winsor, un best-seller captivant et une référence sur le domaine.
- Enfin, envie d'en savoir plus sur la restauration anglaise ? Je ne saurais que vous conseiller "Charles II" de Alain Boulaire.

Illustration : https://www.facebook.com/Lawlie0/

dimanche 6 décembre 2015

[#2 Au quotidien] Prêts à tout pour se sublimer



“Aucune grâce extérieure n'est complète si la beauté intérieure ne la vivifie. La beauté de l'âme se répand comme une lumière mystérieuse sur la beauté du corps.” Victor Hugo


Nous sommes en 1861. L'impératrice de Chine Cixi s'éteint dans la citée interdite à l'âge de 72 ans.
Cette adolescente ambitieuse, devenue concubine à l'âge de 15 ans puis mère du futur empereur Tongzhi passera le reste de sa vie au pouvoir de la dynastie Qing qu'elle dirigera avec une main de fer, conseillant l'Empereur et prenant seule les rênes de l'Empire à la mort du dirigeant, sera le point de départ de ce nouvel article.
Cixi a bien conscience du pouvoir de sa beauté, et comme Agnès Sorel ou Diane de Poitiers dont nous avons parlé précédemment, elle compte bien l'entretenir jusqu'à son dernier souffle.

Impératrice Cixi vers 1900

Garder et mâcher des tranches de ginseng pur dans la bouche, avaler de la poudre de perle (dont on reconnait encore aujourd'hui les vertus protéinées nutritives notamment pour le cheveu), elle prend également l'habitude de manger régulièrement des fleurs, qu'elle applique également en masque sur la peau. Comme le veut la tradition, ses pieds seront bandés pour être les plus raffinés et les plus petits possibles, et elle adoptera tout au long de sa vie une technique de séchage du visage qui consiste à tapoter la peau avec un linge propre au lieu de le frotter.
Si les mesures qu'entreprend Cixi pour conserver sa beauté peuvent surprendre, elles n'en sont pas moins judicieuses – on s’épargnera cependant les bandes aux pieds – et ne lui font guère prendre de risques. Car en effet, au XIXe siècle en Chine, la médecine est élaborée, les composants employés sont rarement nocifs, l'alimentation est pauvre en graisse et la subtilité de l'utilisation florale conserve les femmes de la noblesse, et même les paysannes, belles et toutes en vigueur à un âge avancé. C'est d'ailleurs encore aujourd'hui en Chine et au Japon que l'on retrouve le plus de personnes centenaires, même si les chiffres s'effondrent à cause du mode de vie à l'occidentale qui rattrape les populations.

Et en parlant d'occident, retournons-y.
Nous y découvrons les soins de beauté très tôt, certains apportés directement de l'Égypte antique (inventeur du maquillage, il faut bien le dire mais plutôt utilisés dans les rites funéraires dans un premier temps), de la Grèce ou de Rome. Le Kosmètikon de Kléopatra, manuscrit de recette pour la peau et les cheveux attribué à Cléopâtre VII, sans certitude néanmoins, met en lumière le bénéfice des plantes et des onguents : le safran, le miel, le lait d’ânesse, l'huile d'olive ou encore la poudre d'iris. Coûteux au Moyen-Âge, ces ingrédients seront néanmoins utilisés tout au long de notre histoire et encore aujourd'hui. L'aromathérapie et la naturopathie font grand cas des recettes naturelles pour entretenir sa beauté, et ceci depuis des siècles et des siècles.

Mais savez-vous que certaines recettes ont précipité les femmes (et quelques hommes) dans la déchéance physique, voire dans la mort ?

Comme nous l'avons vu précédemment, à chaque époque ses codes et ses dogmes en matière de beauté. Au Moyen-Âge, la pucelle a bon dos et représente l'idéal de la femme. On est prête à tout pour se distinguer de la femme du peuple, hâlée, à l'embonpoint accentué par les grossesses, le muscle fort à force de travail aux champs. Alors on bande sa poitrine, on cache ses cheveux une fois mariée derrière un chignon très serré, qui valut à bon nombre de femme jusqu'au XIXe siècle des migraines épouvantables tant elles apposaient d'épingles tirant sur le cuir chevelu.
La brosse à dents, elle, fut inventée en Chine autour de 1490 mais elle ne fut utilisée en Europe qu'à partir du XVIIe siècle. Alors on utilise des subterfuges, cure-dents bien sûr, mais également en ruminant du fenouil, au goût comme vous le savez particulièrement fort en bouche.
La pilosité n'est pas admise chez la femme du Moyen-Âge, et pour la réduire à néant, on s'applique de l'orpiment, qui est un sulfure d'arsenic, mêlé à du sang de chauve souris et de grenouille broyée, pour la forme aurait-on envie de dire aujourd'hui. 

"Jeune femme à sa toilette"  Bellini 1515
"Repos dans une piscine orientale" Sarkis Diranian 1880


Le début de la Renaissance marquera une phobie de l'eau très ancrée en Europe. Elle est accusée de véhiculer de nombreuses maladies, de favoriser les miasmes, d'être nocive pour la peau. Elle qu'on utilisait en grande quantité pour des bains publics durant l'Antiquité jusqu'au Moyen-Âge devient impropre à l'hygiène et se voit remplacée par l'utilisation de "nettoyages à sec" de la peau, la frottant au linge parfumé par du musc, de la rose ou de la fleur d'oranger, camouflant odeurs corporelles et saleté derrière nombre d'artifices. Si cela peut paraître curieux aujourd'hui, il faut savoir qu'à cette époque, les installations sanitaires ne sont pas ce qu'on pourrait appeler "aux normes" et entraînent souvent l'utilisation d'eau croupie, pouvant contenir des bactéries mortelles, il valait mieux donc s'en passer. On place notamment à partir du XVIIe siècle, de petits sachets de fleurs séchées entre les seins afin d'apporter une odeur soutenue au corps durant des heures. L'une des potion les plus appréciée en ce temps restant la décoction de pigeon haché à la mie de pain et aux nénuphars, idéale pour le teint. Vous m'en direz des nouvelles.

Il faudra attendre l'influence de Marie-Antoinette au XVIIIe siècle, qui, une fois mère, se préférera en tenue légère et non contraignante (superbement mise en valeur par Elisabeth Vigée Lebrun) pour que les femmes lâchent un peu du lest sur les camouflages au maquillage et les paniers à armature de métal sous des robes pouvant peser plusieurs kilos et ainsi entraîner déplacements du bassin, scolioses et maux de dos en tout genre.

De nombreuses suivantes se donnaient expertes dans l'art de fabriquer des décoctions pour leurs maîtresses et les charlatans en tout genre fleurissaient pour assurer la protection hygiénique nécessaire contre les maladies en proposant des remèdes de prévention aux compositions douteuses.
Les apothicaires, métier très en vue à l'époque, aidaient non seulement à s'embellir, mais surtout à cacher ses défauts. Imaginez-vous que la femme de référence a entre 14 et 16 ans, est à peine nubile, et que pour conserver un homme, vous n'aviez pas trop intérêt à avoir le nez fort, qualifié avec la grâce de l'époque de "juif", la peau mate des filles de ferme ou la poitrine épaisse. L'apothicaire veillait alors à votre confort en vous proposant des remèdes – citant les anciens de l'Antiquité pour plus de crédibilité – à base d'animaux broyés, de minéraux toxiques ou de poudres à la composition étrange, à ingérer, appliquer, faire poser, pour gommer un défaut insistant, voire faire disparaître les stigmates d'une descendance maure, rien que ça. 

Vase d'apothicaire, 1720

Néanmoins le commerce fait recette et encore aujourd'hui vous convenez que si l'on ne s'applique plus de plomb sur le visage à la manière des dames de la haute, les femmes et les hommes sont prêts à acheter nombre de compléments alimentaires, crèmes et pilules miracles pour mincir en une nuit ou faire pousser les cheveux de 50cm en trois semaines.

Les hommes d'ailleurs, parlons-en, sont-ils en reste ?
Non bien sûr, même si les lanceurs de mode à l'instar de François 1er et de sa légendaire barbe sont plus rares et moins suivis, les hommes font aussi grand cas de leur apparence, du moins dans les sphères les plus privilégiées. Bien que les remèdes qu'ils s'appliquent soient souvent moins dangereux ou contraignants, ils utilisent également quantités de fards, cherchent à camoufler leurs défauts les plus visibles derrière une pilosité faciale ou des postiches sur la tête, mais c'est néanmoins leur allure générale qu'ils soigneront le plus car s'ils ont le choix de refuser une épouse, l'inverse est rarement vrai et l'homme se fera souvent accepter comme il est, grêlé par la variole ou débordant d'embonpoint.
Mais comme je sais que vous êtes friands d'exemples, je citerai le vert galant Henri IV qui, pour conserver une virilité intacte et honorer ses très nombreuses maîtresses, consommait de l'ail à une dose telle que son haleine repoussait même les femmes ayant le cœur le mieux accroché.

Plus nous avançons dans l'Histoire, moins les recettes et les décoctions de beauté sont dangereuses. Néanmoins les supplices que les femmes se sont infligés – des corps baleinés dans des corsets étouffants même si incroyablement seyants, des coiffures lourdes et contraignantes, etc. – ne s'arrêteront vraiment qu'après la première guerre mondiale, qui bannit presque définitivement les fanfreluches encombrantes pour des vêtements plus amples, modernes, confortables, même si toujours très élégants durant l'entre-deux-guerres. Le maintien se veut plus libre et les organes moins compressés ce qui donne une allure plus désinvolte et moins guindée très en vogue en 1920. Le naturel sur la peau et les cheveux prend également le dessus, la femme des années folles a énormément recours au maquillage, et la médecine progressant, les femmes font attention à ce qu'elles mettent sur leur peau et à ce qu'elles ingèrent. 

Libération des corps durant les années folles - Illustration catalogue

Afin de compléter et de terminer le chapitre sur la beauté du quotidien, nous aborderons bientôt deux icônes en portrait : Nell Gwynn, l'une des maîtresses, peu connue en France, du roi Charles II d'Angleterre, qui nous éclairera sur les pratiques ciblées du XVIIe siècle, et Sarah Bernhardt actrice et muse de son état qui quant à elle, nous en apprendra plus sur le XIXe siècle ayant une esthétique très codifiée et une tendance très poussée au culte de l'image chez les femmes.
Enfin, je vous ferai un focus sur l’événement tragique de l'incendie du Bazar de la Charité à Paris en 1897 qui coûta la vie à 123 femmes, principalement de la noblesse, et dont les mises encombrantes participèrent largement à leur mort.

Psst : Un bon livre pragmatique et concis sur l'Histoire de la beauté ? Je vous conseille "Histoire de la beauté : le corps et l'art d'embellir, de la Renaissance à nos jours" par George Vigarello 

Référence bibliographique :
"Produit de beauté au Moyen-Âge et au début des temps moderne" - Collectif d'auteurs.
"Histoire de la beauté" - Umberto Eco
"La Chymie charitable et facile, en faveur des dames", manuscrit 1666 par Marie Meurdrac

Illustration : https://www.facebook.com/Lawlie0