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dimanche 8 mai 2016

[#7 Au quotidien] Le mariage et le divorce dans l'Histoire

"Ils se marièrent, eurent beaucoup d'enfants et vécurent heureux jusqu'à la fin des temps".
Je crois qu'on a été assez peu à le croire véritablement. Et aujourd'hui en France, un mariage sur deux finira en divorce si l'on en croit les chiffres de l'Insee distribués pour 2014 qui cite 120 000 divorces pour 231 000 mariages.
Le nombre de mariages hétérosexuels baisse chaque année et, grâce au PACS ou à l'union libre, de très nombreux couples décident de ne pas franchir le pas de cette engagement plus lourd de conséquences notamment en terme de séparation.

Mais ces possibilités de liberté sont, comme vous le savez déjà, très récente et le mariage, l’institution de la famille par excellence depuis des millénaires, revêtait bien plus souvent une image de contrat de vie que de belle histoire d'amour. Majoritairement au détriment des femmes, comme souvent.
Je ne pourrai pas revenir sur l'intégralité de l'histoire du mariage et du divorce, cela me prendrait un temps infini et de nombreux articles (je vous renvoie pour ceux que cela intéresse à creuser le sujet auprès du livre de Sabine Melchior Bonnet "Histoire du Mariage" dont je tire mes sources et qui est très instructif) mais dans un condensé, je vais tenter de vous résumer cette aventure qui a décidé de très nombreux destins.

Le rêve de nombreuses petites filles est de faire un beau mariage. Peut-être bien moins de nos jours, la priorité revenant à "trouver l'amour", mais combien d'entre nous sont déçus de voir des couples solides, des stars par exemple, qui annoncent leur divorce et nous forcent à croire qu'il est quasiment impossible de rester marié longtemps aujourd'hui.
Les données sur l'union avant l'Antiquité sont assez faibles. On sait que déjà l'homo-sapiens pouvait s'unir lors de rites sacrés, mais les conditions de ces unions restent floues, faute d'écrits.
Dans l'Antiquité en revanche, notamment la Rome Antique, le mariage est considéré comme un pacte entre le mari et le tuteur de la mariée, la plupart du temps, son père. Échange de bons procédés, dot (somme d'argent que le père offre en plus de sa fille, lui permettant de choisir le parti qu'il préfère), legs en tous genres, tout se donne et s'échange autour d'une mariée qui n'a guère son mot à dire. Puis il est défini de si le père garde les droits sur les biens, le mari ou la femme, ce dernier cas étant réservé à la noblesse. La famille peut alors se créer au sein du foyer.

Portrait de Giovanni Arnolfini et de sa femme
Jan Van Eyck, 1434
Car si il y a bien une notion qui fait du mariage ce qu'il est ‒ jusqu'au XXIe siècle qui bousculera les codes en autorisant dans de nombreux pays du monde le mariage homosexuel ‒, c'est la fondation d'une famille autour d'un noyau central que sont le père et la mère.
Au Moyen-Âge, l'Église prend possession du mariage et en fait un contrat sacré devant Dieu avec ses codes et ses règles strictes, non seulement dans les noces en elles-mêmes mais ensuite dans la vie commune des époux, favorisant, il va sans dire, l'homme. Saviez vous d'ailleurs que le terme "Mariage" vient du latin "Mas" qui signifie "Mâle" ?
Le sacrément se fait selon un rite initiatique très codifié, une messe, un échange d'alliances, de pièces, une prise de position de la dot, des terres, une remise de gages, s'en suivent l'installation symbolique des époux dans le foyer ‒ souvent chez les parents du mari où une fois ceux-ci décédés, l'épouse prendra seulement le titre de femme de la maison ‒ avec un banquet, où l'on rompt le pain et l'on boit à la même coupe. Enfin, la nuit de noce, où l'époux prend une totale possession de sa femme en la déflorant, c'est-à-dire en lui enlevant sa virginité, officiellement dans l'espoir d'une première procréation particulièrement de bonne augure si elle a lieu en cette nuit, officieusement pour en prendre le pouvoir. L'acte sexuel non consenti est aujourd'hui appelé viol. Mais ce sont des milliards de femmes depuis l'Antiquité qui ont passé des nuits entières, voir la totalité de leur mariage, à se faire violer par les époux dans l'encouragement du sacré mariage. Aujourd'hui encore dans le monde, les mariages forcés sont légions dans de très nombreux pays du monde et parfois même avant 15 ans.

Toutes les femmes de l'Ancien Régime sont-elles obligées de se marier ? Oui, à un homme ou à Dieu. À l'inverse, la vieille fille est condamnée au rang de ribaude, de sorcière si elle échappe à la société. Sinon elle sera mariée de force en fonction de son âge et donc de sa fécondité potentielle.
Plus le temps avance, plus les mœurs s'adoucissent sur la femme ne prenant pas d'époux, étant simplement reléguée, à la fin du XIXe siècle, au rang de "pauvre vieille fille" qui le plus souvent s'occupe de ses parents ou de bonnes œuvres. Le terme "vieille fille" reste néanmoins péjoratif encore aujourd'hui et les langues les plus archaïques l'emploient encore pour désigner une femme qui ne s'est jamais mariée ou n'a jamais vécu durablement en couple.

À la Renaissance, l'on commence à utiliser le mariage comme alliance entre les grandes familles. Les cas sont très nombreux et dans la royauté il est inenvisageable d’imaginer un mariage qui ne soit pas arrangé. Souvent, les enfants sont promis dès le plus jeune âge, dans une même famille ou dynastie, souvent entre pays, s'unissant dès la puberté à une culture et un protocole dont ils ignorent tout. Les futurs époux se font faire des portraits officiels de leur promis(e), n'ayant que cette image comme espoir d'un avenir marital heureux.
Car si le mariage d'amour est une notion qui commence à apparaître dans les campagnes, puis dans la bourgeoisie et la noblesse, autour du XVIIe siècle, il arrivait naturellement que les époux se plaisent et finissent par s'aimer à plus ou moins long terme, ou à défaut développent une certaine affection l'un pour l'autre, formant un ménage agréable.

Je pourrais vous donner un exemple que j'aime beaucoup, celui de la Duchesse d'Alençon, soeur de la célèbre Sissi, promise au roi de Bavière le beau Louis II en 1867. Cousins, se connaissant depuis l'enfance et promis en toute convenance, Sophie-Charlotte est très heureuse de ce parti qui lui est donné, et entretient une correspondance enflammée avec le jeune monarque plusieurs mois avant le mariage. Néanmoins, souffrant d'une profonde inconstance, le roi rompt ses fiançailles quelques jours avant les noces, à la grande déception de sa future femme.

Annonce des fiançailles (ratées) entre Louis II de Bavière et la (future) Duchesse d'Alençon 

Car le mariage, c'est avant tout le fait de trouver pour les familles le meilleur arrangement, le couple qui leur apportera à l'un comme à l'autre des gages d'une pérennité, en affaires par exemple dans les classes bourgeoises ou simplement l'assurance de quelques terres chez les paysans. Les femmes ont des enfants, et le père choisit à son tour de les marier selon ses préférences et ses arrangements.
La virginité reste néanmoins l'une des principale conditions de l'union, gage que la mariée n'a appartenu à nul autre.
Qu'arrivait-il à celles qui "fautaient" ou qui se faisaient violer avant les noces comme c'était souvent le cas notamment dans les campagnes ? Elles étaient mariées au plus vite au premier venu acceptant de passer l'éponge sur cette bavure, ruinant les espoirs du père de voir ses affaires se concrétiser par le mariage de son enfant. Souvent un vieux veuf bien heureux d'avoir une jeune nouvelle épouse encore fertile malgré sa condition faisait l'affaire. Et si la malheureuse était enceinte des fruits du viol, on expédiait l'enfant en campagne chez une famille d'adoptant et on achetait leur silence avec quelques sous.

Un couple aisé le jour de leurs noces, XIXe siècle

L'espoir subsistait néanmoins pour les femmes enchaînées à leur union, celle d'un veuvage. Perdre leur époux leur garantissait de récupérer leurs biens, leurs droits et de vivre seules dans une indépendance financière tout en restant honorables aux yeux de la société. À condition de posséder des biens tout naturellement. Sinon la perte d'un mari pouvait entraîner la femme à une grande misère voir à la prostitution.
Après la révolution française, en 1792, on décide d'accorder le droit de divorce et la dissolution d'un mariage (bien que certains monarques aient pu en bénéficier à différents motifs plus ou moins valables bien avant cette époque). Mais le nombre de mariages dissous (plus d'un sur trois !) est tel que ce droit est abrogé en 1816. Il faudra attendre 1884 pour que le divorce soit rétabli mais non sans motif. Il reste néanmoins assez mal vu jusqu'aux années 1980 où il devient quasiment banal. Aujourd'hui, les juges des affaires familiales demandent encore un motif au divorce mais une clause de "différents irréconciliables" permet de ne pas se justifier outre mesure.

Cette prison que peut sembler être le mariage a tout de même permis à de très nombreuses histoires d'amour de naître, ou au moins à de nombreux foyers heureux ou cordiaux de se former. Souvenez-vous par exemple des noces avec les marraines de guerre dont nous avons parlé précédemment. Le mariage a également été le terrain de jeu de très nombreux écrivains, permettant nombre de situation cocasses ou tragiques dans les œuvres et ne cesse encore aujourd'hui d'inspirer la satyre ou le romantisme.

Article : Hélène R.
Illustration : Lawlie

dimanche 17 avril 2016

[#2 Explication d'oeuvre] Vampire d'Edvard Munch

Edvard Munch, Vampire
Nous continuons aujourd'hui sur le thème de la violence domestique.
Comme le disait Hélène dans le dernier article du blog, la violence domestique est peu représentée en peinture. C'est évidemment un tabou. Même si le sujet pourrait s'apparenter de loin à une scène de genre, qui voudrait voir en peinture, dans son salon, au dessus de sa cheminée un homme battre sa femme ?

Il faudra attendre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle pour que la peinture aille chercher de nouveaux sujets dans des univers un peu "craignos".
A cette époque les collectionneurs et les acheteurs sont prêts à acquérir de telles œuvres. Quant aux artistes, portés par le mal-être de la vie moderne, ils s'épanchent comme jamais sur leurs toiles.

J'ai beaucoup réfléchi à une œuvre en lien avec la violence conjugale, thème qui nous tenais à cœur et que l'on voulait aborder dans La plume et le lys.
J'ai alors pensé au Vampire d'Edvard Munch. Je connais bien ce tableau, tout bêtement parce qu'il s'agit de mon fond d'écran d'ordinateur depuis plus de cinq ans. Je le vois tous les jours, parfois même sans le voir, j'ai eu le temps de m'en imprégner, et c'est seulement en me creusant les méninges pour le choix d'un tableau à commenter pour le blog que la violence sous-jacente dans l’œuvre me frappa de plein fouet.

L'artiste est le génialissime peintre norvégien Edvard Munch. Né en 1863, mort en 1944, il est une figure marquante du courant artistique que l'on appelle expressionnisme.
Doté d'un immense talent, Edvard Munch voudra très vite dépasser les qualités requises d'un bon peintre telles qu'on les entendait à la fin du XIXème siècle - maîtrise du dessin, des couleurs, de la perspective et du portrait.
Il voulait en effet être un véritable artiste, au sens où on l'entend couramment aujourd'hui : transmettre ses émotions et faire de la peinture un langage par l'expression picturale.

Les peintres expressionnistes ne décrivent ou ne racontent plus une histoire, ils expriment des émotions. Munch s'exprime ainsi à merveille dans ses œuvres, on y entend sa parole, sa voix, des pleurs et même des cris. Aujourd'hui on dirait de lui qu'il est un "hyper-sensible".
Il a vécu des expériences douloureuses durant son enfance, la perte de sa maman à l'âge de cinq ans suivi par le décès de sa soeur cadette quand il était adolescent.
C'est par le prisme de ce souvenir douloureux, dans un tableau nommé L'enfant malade, que le jeune peintre aboutira à trouver ce style unique qui deviendra sa signature picturale : un abandon de l'espace picturale, la modification des formes pour les rendre plus expressives, l'emploi libre de la couleur pour accentuer les impressions.
Munch a surtout compris qu'il pouvait tirer de ses émotions douloureuses une force créatrice.

A présent revenons-en à notre Vampire, l’œuvre de Munch qui s'apparente selon moi le mieux à ce qu'est la violence domestique.
D'abord je voudrais m'excuser de vous présenter ici la peinture d'un homme subissant la violence d'une femme.
Ça m'embête car c'est injuste, nous savons que la plupart du temps c'est l'inverse qui s'est produit. Siècles après siècles, des hommes ont commis des violences conjugales... mais les femmes ne prenaient pas les plumes pour l'écrire ni les pinceaux pour le dire.
La peinture de Munch me paraît assez libre pour que nous puissions sans trop de difficultés transposer dans la figure de l'homme courbé et abattu la souffrance d'une femme maltraitée et dans celle de la femme rousse la figure d"un homme violent.
Cette peinture reflète à mes yeux ce qu'est une violence domestique. Ici on sent que la violence se joue dans un cercle très fermé et que la scène est intime, cachée, tue, secrète. On n'en parle pas dans les salons bourgeois, sur les promenades le long de la jetée ou dans les cafés sur la grand place.
Le cerne noir, le clair-obscur, l'imbrication des lignes des deux personnages, tout amène à cela. J'aurais envie de parler de terrier, de tanière, de grotte. Cette peinture retranscrit le passage ou l'habitat domestique se fait plus angoissant que rassurant, plus enfermant que protecteur.

Dans ce confinement on observe deux personnes. Ils ne nous regardent pas et sont dans leur intimité. Un personnage est en repli total, dans une position presque fœtale. Il a la tête dans le bras, il se protège ou se désespère mais ne semble plus vraiment résister.
Vaincu, il présente sa nuque, la partie du corps symbolisant le plus la soumission, à l'autre personnage qui le domine.
Mais là où l’œuvre nous dérange le plus c'est que ses mains semblent cajoler l'agresseur, le prendre dans ses bras, le retenir presque ... En tant que spectateur on est embêté, gêné de voir ce personnage soumis. C'est cette même gène que l'on ressent face à des femmes maltraitées qui restent avec leurs agresseurs...
Prisonnières d'une relation sensée être amoureuse, familiale, respectueuse et apaisante, elles subissent dans le cadre domestique la cruauté d'un conjoint.
Ici le personnage roux s'étend complètement sur le corps du pauvre recroquevillé, qu'il enferme de ses bras épais, protecteurs ou dangereux, tandis que sa chevelure flamboyante s'écoule comme des coulées de sang sur le prisonnier.
Munch a complètement imbriqué les deux protagonistes. De cette fusion semble d'ailleurs découler le processus d'effacement du personnage courbé dont le corps disparaît dans les méandres sombres du reste de la toile.
Cette œuvre a été exposée la première fois en 1893 sur la très belle avenue Unter den Linden à Berlin.

L'impact sur le public fut très fort. C'est le public, relayé par les critiques et la presse qui lui donna d'ailleurs son nom actuel : Le vampire.
Car oui, à l'origine Munch avait nommé ce tableau le baiser. Comme il l'a dit lui-même, au départ il voulait simplement peindre une femme embrassant un homme sur la nuque...
Munch parle indirectement dans ce tableau de sa relation amoureuse avec Dagny Juel, une femme mariée à l'un de ses ami. Elle était très belle, très indépendante, très courtisée. Elle fut souvent peinte par Edvard qui devait être très amoureux d'elle...
Cette œuvre est bouleversante car elle reflète le caractère exutoire de la peinture. J'imagine le jeune peintre de trente ans se rendant compte que la scène qu'il avait peinte était loin d'être anodine. Que la relation qu'il avait avec cette femme n'était pas une relation équilibrée.

Son baiser est celui d'un vampire, qui, à l'instar du personnage mythique, charismatique et séduisant, est aussi mortellement destructeur.
Dans l'Histoire de la peinture c'est selon moi l’œuvre qui nous parle le plus de violence domestique : une relation destructrice et malsaine dont le vrai visage n'est connu que de deux protagonistes : la victime et son agresseur.
De ce tableau et de son histoire nous pouvons tirer un élément intéressant : la communication, qu'elle passe par la parole, l'art, l'écriture permet de mieux nous comprendre et, en cela, de faire sortir et apparaître les problèmes que nous portons. Je ne peux qu'encourager les femmes à parler et s'écouter mutuellement. La violence conjugale est discrète et invisible. Le silence fait le lit des agresseurs.

Parler à des personnes de confiance d'un "problème de couple" permet aussi parfois d'ouvrir les yeux sur une vérité qui dérange.
Comme Munch qui a peut-être compris une fois son tableau exposé aux yeux de tous qu'il ne s'agissait pas d'un simple baiser.

Article : Antoinette Novel 

Crédit Oeuvre : Edvard Munch, Vampire, 1893. Huile sur toile, 100 x 110. Collection privée.

lundi 4 avril 2016

[#6 Au quotidien] La violence domestique dans l'Histoire




"Le droit de punir", ainsi nomme-t-on depuis le XVe siècle, la violence maritale. L'Église émet à ce moment d'ailleurs une ordonnance précisant quand et comment un homme pouvait battre sa femme.
On peut donc noter que la notion est assez récente contrairement à ce que l'on pourrait être amené à croire aujourd'hui.
Mais comment est définie la violence domestique ?
Dans les textes, comme "une forme de brutalité corporelle, homicide ou non, qui explose de nuit comme de jour dans la cellule familiale", ce qui, contrairement à la violence maritale, inclut également les enfants, les parents, les domestiques... (j'allais écrire les animaux, mais non, ça c'est depuis l'an dernier...). On peut désormais ajouter à la brutalité corporelle la dimension morale qui à l'époque n'était guère prise en compte.
Néanmoins, si le droit de corriger sa femme s'est établi récemment, la violence en tant que telle au sein des foyers existe depuis la nuit des temps, chez les hommes comme chez les femmes dans une indifférence relative, ou le plus souvent gardée bien pour soi au sein des murs de la cellule familiale. Je pense qu'on peut facilement imaginer les discussions de villages type : "il m'a encore frappée hier soir, bourré comme un coing", la seule différence avec notre période serait le droit à la plainte légale.

Aujourd'hui nous pouvons comprendre, relativiser et envisager des causes psychologiques à de nombreuses violences domestiques, mais saviez-vous qu'au XVIe siècle, plus de 5000 femmes furent pendues pour infanticide ? Évidemment, l'infanticide est un crime odieux qui se doit d'être sévèrement puni. Mais lorsque l'on sait que ces femmes étaient toutes ou presque tombées enceinte hors mariage, comment savoir lesquelles ont été violées ? Comment ne pas se poser la question devant la détresse d'une énième grossesse sans contraception et sans possibilité d'avorter, d'un avenir probable de prostitution sans un mari pour subvenir aux besoins d'un foyer ou de l'incapacité à nourrir le rejeton de ces relations dites "paillardes". La violence domestique dans l'Histoire, si elle est tout aussi condamnable qu'aujourd'hui, est cependant à prendre avec l'ensemble de ses composantes.
Le droit à l'abandon de l'enfant, l'obligation de déclarer les naissances et, plus récemment, le droit à l'avortement et l'accès à la contraception et à un accompagnement psychologique a bien évidemment fait baisser le taux d'infanticides en Europe de manière significative.

Titien, Le viol de Lucrèce

Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, sachez qu'au Moyen-Âge, si le "droit de punir" n'est pas obligatoirement défini comme tel, il semble normal qu'un mari puisse corriger sa femme si elle désobéit aux règles imposées par le patriarche au sein de sa maison. De très nombreuses plaintes et demandes de divorces sont néanmoins enregistrées auprès des ecclésiastiques par des femmes qui se considèrent "violentées plus que de raison". Mais alors quelle est la limite entre la correction et la violence ? À cette époque, c'est au prélat d'en juger et autant vous dire que ça ne devait pas être triste. Selon la compassion du juge, ses liens avec le mari mis en cause ou simplement le temps dont il disposait pour traiter la question, on peut imaginer que ces demandes étaient étudiées avec le minimum de considération. Selon les écrits nous restant, les demandes étaient acceptées si l'époux se comportait avec une "réelle cruauté amenée par la folie et pouvant nuire à la vie de la victime", on peut donc légitimement se demander ou est la limite à la violence.



La violence domestique est prise en compte si la victime reçoit des coups asséné avec le corps (mains, jambes, tête...) ou avec un objet de la maison. Si la victime est violentée hors de son domicile avec un objet prêté ou subtilisé, on considérera plutôt cela comme une tentative de meurtre. Jusqu'à la Révolution Française, ce sont des nuances qui jouent sur les condamnations et les prises en compte de violence. Pour ne pas condamner tout type de violence et laisser le patriarche avoir un droit de correction sur sa femme et ses enfants, on cherche la petite bête pour faire la différence. Par exemple, une femme laissant son rejeton sur le parvis d'une église un jour de printemps ou d'été ne voudra que l'abandonner, la même femme l'abandonnant derrière l'église un jour d'hiver voudra certainement attenter à sa vie. Il est très difficile de trouver une impartialité dans la définition des violences jusqu'après la Révolution Française après laquelle l'ensemble des textes sur la question seront revus et corrigés. Néanmoins, même au XIXe siècle, le droit de punir est toujours établi et il faudra attendre le XXe siècle avant de punir toute violence, physique ou morale au sein d'un foyer.
On trouve notamment un cas de procès au XVIIIe siècle ou Jean-Robert Tronchin, procureur, poursuivit et condamna un père de famille ayant jeté deux de ses enfants par la fenêtre du troisième étage pour un vol de cerises. Voyez jusqu'à quel extrême il faut aller pour avoir une chance de voir le tortionnaire se faire reconnaître comme violent.

Notez que la charte de la bonne épouse au Moyen Âge, le "Ménagier de Paris", préconise d'obéir, de servir, d'aimer son époux et de le placer au dessus de tous les hommes. De ne confier son malheur qu'à Dieu, de ne sortir qu'en honnête et féminine compagnie, les yeux baissés en restant douce, aimable, calme, modérée, débonnaire. Respecter ces règles nous paraîtrait aujourd'hui comme un doux début à la violence. Le simple fait de ne pouvoir être soi-même, de fermer les yeux sur les infidélités de monsieur sans pouvoir s'exprimer ou ne pas avoir le droit de sortir avec qui bon nous semble en regardant ce que bon nous semble, nous paraîtrait inconcevable. C'était pourtant la norme de l'époque, la violence maritale était donc toute relative et ne s'appliquait, comme nous l'avons vu, qu'en cas de coups donnés sous la folie et entraînant possiblement la mort. On est loin de la claque quotidienne que devait subir la femme qui osait parler la première sans permission.



Aujourd'hui en France, on compte environ 216 000 (chiffres du gouvernement pour 2015) femmes victimes chaque années de violences conjugales. Bien que la population du Moyen-Âge était clairement moindre, il faut savoir qu'un couple heureux n'était pas nécessairement du meilleur goût et si malheureusement aucun chiffre n'existe, on peut imaginer avec les données en notre possession qu'une femme sur deux subissait fréquemment des violences à la maison.
On pourrait également s'étendre longuement sur la violence sexuelle (on abordera prochainement le thème du sexe dans l'Histoire, c'est promis) mais l'absence de données ne nous permet pas d'en parler avec le recul nécessaire. D'ailleurs, le viol par le conjoint n'est reconnu que depuis quelques années et pour cause, un simple mariage arrangé, banalité sans nom jusqu'au XXe siècle est aujourd'hui considéré comme un viol alors qu'à l'époque il était simplement normal.

Il faudra attendre les années 1970 pour qu'ouvrent des centres d'accueil pour les femmes battues, et les années 2000 pour que l'ampleur du phénomène (1 femmes sur 10 ayant subi une violence, physique, morale ou sexuelle durant l'année qui a précédé l'entretien) soit enfin dévoilée et que les consciences s'ouvrent sur le sujet.

PS : Preuve que le sujet, même si autorisé voir plébiscité au sein des maisonnées, n'est finalement pas si innocent, il est très difficile de trouver l'auteur des illustrations présentées, nous nous en excusons.

Article : Hélène R.
Illustration : Lawlie

lundi 21 mars 2016

[#2 Ensemble de citations] Les femmes et l'éducation

Pour clore ce chapitre consacré à la femme et la médecine, un petit condensé de ce qui s'est dit de mieux, ou de pire sur l'apprentissage et le travail scientifique ou non, des femmes.

“Les femmes et les médecins savent seuls combien le mensonge est nécessaire et bienfaisant aux hommes.” Anatole France
“Dans la vie, rien n'est à craindre, tout est à comprendre.” Marie Curie 
“On peut se demander si l'humanité a avantage à connaître les secrets de la nature, si elle est mure pour en profiter ou si cette connaissance ne sera pas nuisible.” Pierre Curie
“La plus utile et honorable science et occupation à une femme, c'est la science du ménage.” Montaigne
"Les paroles sont femelles, et les faits mâles" G.Meurier 
"C’est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle ; c’est par le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète" Simone de Beauvoir
"L’homme a sa loi ; il se l’est faite à lui-même ; la femme n’a pas d’autre loi que la loi de l’homme. La femme est civilement mineure et moralement esclave. Son éducation est frappée de ce double caractère d’infériorité. De là tant de souffrances, dont l’homme a sa part ; ce qui est juste. Une réforme est nécessaire. Elle se fera au profit de la civilisation, de la vérité et de la lumière." Victor Hugo
"Originellement, bien sûr, les femmes sont elles aussi avant tout attirées par les avantages physiques ; mais on peut, avec une éducation appropriée, parvenir à les convaincre que l’essentiel n’est pas là. On peut, déjà, les amener à être attirées par les hommes riches - et, après tout, s’enrichir demande déjà un peu plus d’intelligence et d’astuce que la moyenne." Michel Houllebecq
"Les hommes rêvent, se fabriquent des mondes idéaux et des dieux. Les femmes assurent la solidité et la continuité du réel" René Barjavel
"Là où tant d'hommes ont échoué, une femme peut réussir" Talleyrand

Illustration : Lawlie




dimanche 6 mars 2016

[#3 Portrait] Marie (Skłodowska) Curie

Marie Curie est l'une des personnalités préférées des français plus de 80 ans après sa mort. Certainement parce que cette scientifique d'exception a eu le courage d'imposer ses travaux dans le monde misogyne des cerveaux de l'époque, remportant deux prix Nobel, fait rarissime, et devenant plus connue que son époux Pierre Curie, lui aussi scientifique.

Il est donc normal après notre dernier article de lui rendre hommage.
Je n'aurai pas la prétention de pouvoir écrire sur les travaux de Mme Curie alors nous allons nous concentrer principalement sur sa vie et pour ce qui est de l'aspect purement scientifique, je vous renvoie aux sites dédiés qui se feront un plaisir de nous expliquer tout ça en détail.

Marie Curie est une figure française, enterrée en France puis transférée au Panthéon, ayant des centaines de rues et d'établissements scolaires portant son nom, on pourrait donc légitimement penser que cette femme est française. Mais il n'en est rien. Marie Curie est née Marie Sklodowska (nom qu'elle conservera apposé à son nom d'épouse mais que la postérité ne retiendra pas) en Pologne, alors propriété de l'Empire Russe, durant l'année 1867.
Elle est fille d'intellectuels, son père étant professeur de mathématique et de physique et sa mère institutrice. On peut en déduire que l'aptitude exceptionnelle de Marie pour les études est en partie liée au goût que ses parents lui transmettent de l'apprentissage, bien qu'elle n'ait connu sa mère que 11 ans, la perdant tragiquement de la tuberculose peu de temps après avoir perdu l'une de ses sœurs du typhus.
En 1883 la jeune Marie Curie rejoint l'Université volante, qui, illégale, a pour but d'éduquer les populations polonaises en réaction à l'emprise Russe imposée par le gouvernement. Désireuse d'enseigner, Marie souhaite poursuivre ses études supérieures mais elles sont interdites aux femmes dans son pays, ce qui la pousse à trouver du travail afin d'économiser pour rejoindre nos contrées.
C'est à l'âge de 24 ans qu'elle débarque à Paris en partageant un petit appartement avec sa sœur. Elle est acceptée à la faculté des sciences et se met à étudier activement la physique.
S'en suivront 3 années d'apprentissage intensif des sciences dans un univers quasi exclusivement masculin (elles seront 26 à étudier à ses côtés contre 749 hommes) où elle finira par obtenir très brillamment deux licences en se classant seconde de sa promotion en mathématique.



Très attachée à ses racines et à l'émancipation intellectuelle de la Pologne, Marie Curie décide de rejoindre Varsovie en 1895, peu de temps après avoir été présentée à un collègue de recherche, Pierre Curie. Pierre ne peut se résoudre à laisser partir la femme dont il est tombé amoureux, il lui demande donc de rentrer à Paris pour l'épouser la même année dans la ville de Sceaux.
Elle est admise au concours des enseignantes en mathématique peu de temps après, elle décide néanmoins de continuer ses études en vue de décrocher un doctorat. Parallèlement, Marie tombe enceinte et donne naissance à son premier-né, une fille, Irène.

Elle consacrera l'ensemble des années qui suivront à ses recherches sur la radioactivité et particulièrement le radium. Son mari Pierre Curie laissera même de côté ses propres recherches pour l'aider en ce sens et ils décrocheront ensemble le Prix Nobel de Physique en 1903 ; néanmoins ils sont déjà victimes des effets de leurs travaux sur leurs corps et ne peuvent dans un premier temps pas se déplacer jusqu'en Suède pour aller chercher le prestigieux prix.
Aimés des français, ils popularisent la science au point d'avoir plusieurs demandes saugrenues comme de créer une robe au radium pour un spectacle, ce qu'ils refusent évidemment compte tenu des risques accrus de la radioactivité pour la santé.
1903 est également l'année de deux médailles scientifiques pour Marie Curie et de la naissance de sa deuxième fille, Ève.

En 1904, leur brillante carrière est à nouveau récompensée leur offrant deux postes à l'université des sciences de Paris, celle-là même qui a offert à Marie Curie la possibilité d'apprendre malgré le "handicap" de son sexe.
Néanmoins, alors que ses enfants n'ont que respectivement 11 et 3 ans, Pierre Curie décède prématurément à l'âge de 47 ans, renversé par un fiacre. Nous sommes en 1906.
Marie souffrira durablement de cette perte et vivra proche de la mémoire de son mari en reprenant son poste à l'université et en déménageant à quelques pas de son lieu d’inhumation.

Marie Curie dans son laboratoire


La même année et pour près de 30 ans, Marie Curie fondera et dirigera un laboratoire universitaire ouvert sans distinction aux hommes et aux femmes.
On pourrait penser que le sexisme est bien derrière Marie. Forte de son expérience, de son immense intelligence, reconnue et récompensée de nombreuses fois, qui songera encore à la blâmer d'être une femme ? La presse, précisément. Nous sommes en 1911 et le pays est en mal de scandale. Misogyne et xénophobe, un journal nationaliste se plait à inventer une liaison entre notre scientifique et Paul Langevin également physicien, et accessoirement homme marié. Le scandale est énorme, Marie veuve depuis peu est accusée d'être une briseuse de ménage, une polonaise "venant briser les bons mariages français", voilà le niveau. Malgré les démentis publics des deux partis, ses pairs se détournent d'elle et le ministre de l'Instruction Publique souhaite son retour en Pologne, en récompense certainement des avancées considérables que ses travaux apportent à la science et au patrimoine français...
Marie ne se démonte pas et elle apprend au cœur du scandale qu'elle remporte un second prix Nobel, en chimie cette fois, mais le comité lui demande de ne pas venir le récupérer. Femme de tête, elle n'en a cure et vient le chercher en personne en Suède en 1911. Néanmoins affaiblie physiquement par cette affaire et la portée de ses travaux, Marie est hospitalisée et opérée des reins la même année.

Elle se consacrera à l'Institut du radium jusqu'à la guerre ou elle fera avec ses collègues des découvertes majeures sur les rayons X et la radioactivité. Engagée dès le début de la guerre, elle se rendra ensuite régulièrement au front pour faire passer des radios, obtiendra son permis de conduire en ce sens et formera de nombreuses infirmières à pratiquer les mêmes examens.
A la fin de la guerre, elle se consacrera à son institut, se faisant aider de nombreuses bienfaitrices américaines qui fourniront le radium si important pour le développement des recherches. Marie se fera alors assister de sa fille aînée dans ses recherches.

Très tôt dans les débuts de ses recherches, Marie Curie est affligée par de nombreux maux qu'elle mettra elle même sur le compte de la radioactivité dès 1920. Elle continue néanmoins ses travaux jusqu'à la fin de sa vie en 1934 ou elle décède à l'âge de 66 ans d'une leucémie après un très court séjour en sanatorium.

Reconstitution du bureau de Marie Curie à Paris 2011

Les hommages se succèdent et la reconnaissance est énorme. Bien qu'elle et son mari ait tous les deux refusés la légion d'honneur de leur vivant, ils seront extrêmement gratifiés à titre posthume en étant tous les deux transférés au Panthéon en 1995 (Marie sera néanmoins très protégée dans une couche de plomb compte tenu de la radioactivité contenue dans son corps) et de très nombreux musées seront consacrés à leurs travaux à travers le monde. Des hôpitaux, universités, lycées, collèges, monuments, stations de métro, astéroïdes, rues, billets porteront l'illustre nom de "Curie". Ève Curie, musicienne et littéraire, décédée à l'âge vénérable de 102 ans (en 2007) consacrera également une biographie à ses parents.

Psst : Pour acheter et lire la biographie consacrée à sa mère par Ève Curie "Madame Curie", c'est par ici : http://www.amazon.fr/Madame-Curie-Eve/dp/2070373363
Le radium vous intéresse ? Jean Marc Cosset lui a consacré un ouvrage "Histoires extraordinaires du radium"

Illustration : Lawlie
Article : Hélène R

lundi 22 février 2016

[#5 Au quotidien] L'étude et la pratique de la médecine chez les femmes




La médecine et le soin sont des disciplines aussi anciennes que l'humanité elle même. Pour sauvegarder son espèce, l'homme de tout temps a eu recours à quantité de remèdes, potions, expérimentations, recherches lui permettant d'avancer au fil des âges et de partir à la conquête de ce qu'est aujourd'hui la médecine moderne.
Mais saviez vous que si actuellement en occident la place des femmes en médecine est bien établie - quoi que toujours en inégalité salariale avec les hommes - elle revient de loin, de très loin ? C'est un petit avant goût de cette épopée que je vous propose de découvrir aujourd'hui sur La plume et le Lys.

1868, Paris. Mme Brès sous les regards et les interrogations foule d'un pas décidé les portes de l'Université de médecine Pierre Descartes. Elle est dans son droit, elle est la première inscrite officielle et légale, et elle sera diplômée en 1875. A ses côtés, elles sont trois, puis dix, et enfin plus d'une centaine dont 35 seront officiellement reconnues et diplômées "docteur en médecine" en 1888. Le progrès est en place et enfin les femmes n'ont plus à se cacher pour exercer cet art qui leur a si souvent été interdit.

Madeleine Brès, première étudiante officielle en médecine, XIXe siècle

Remontons bien plus loin, à l'époque de la médecine dite "primitive". Les chercheurs ont découvert des traces de médecine pratiquée par des femmes dès le 3e millénaire avant Jésus Christ. Dans de nombreuses tribus, comme en Australie chez les Olo-Maanyam par exemple, la femme seule à le pouvoir de prodiguer les soins, qui ne sont encore que des élixirs à base de plantes puissantes et des remèdes de relaxation, massages naturels, ou décoctions animales. Une valeur sacrée est attribuée à son savoir faire.
C'est également le cas à Sumatra, Bali, dans de nombreuses tribus asiatiques, en Arabie ou l'homme soigne le riche, la femme le pauvre, chez les Indiens d'Amériques, ou la médecine primitive relève de rites initiatiques et surnaturels mais largement ouverts voir encouragés à la pratique par le beau sexe.

Dans l'Antiquité, le même schéma se poursuit, en Grèce ou plus tard dans la Rome Antique, la femme peut exercer la médecine sous un certain contrôle, se voyant le plus souvent confier des travaux de sage femme, gynécologue, soigneuse et confectionnant potions, onguents et décoctions. Les premières infirmières voient également le jour, passant derrière les médecins pour aider, rassurer, ou effectuer les tâches ingrates. Néanmoins l'étude de la médecine reste marginale pour les femmes qui peuvent suivre des cours enseignés par des érudits mais à l'époque d'Hippocrate, la femme soignera uniquement la femme et le plus souvent dans des domaines relevant de l'obstétrique.

C'est néanmoins une place difficilement acquise. Car en effet, la première à avoir bravé le droit commun pour exercer en toute légalité dans la Grèce antique est Agnodice, qui, déguisée en homme passera brillamment le concours de gynécologie qu'elle pratiquera illégalement un temps. Soupçonnée, elle dévoilera sa véritable identité et sera sauvée par les citoyennes reconnaissantes de ses services. Elle exercera ensuite son art en y étant autorisée et sera suivie par de nombreuses autres légitimées par le dikastèrion, le tribunal de droit commun à Athènes.
Les prêtes jouent un rôle de moins en moins important dans la guérison et on aime se tourner vers une médecine plus traditionnelle et stable, émanant d'études poussées sur les fonctions du corps et l'évolution d'un mal. Les manuels obstétriques commencent à voir le jour, et comme nous l'avons vu sur l'article consacré aux recettes de beauté, Cléopâtre elle-même prendra la plume pour écrire "L'ornement du corps".

Agnodice, gynécologue à Athènes, 350 av JC

 L'Europe médiévale, sera plus frileuse. La religion prends le pouvoir sur les esprits, réduisant la médecine à un savoir obscur et la place des femmes au minimum vital. Donner la vie, élever les enfants, divertir, s'occuper de son foyer. Néanmoins et aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est bien dans un couvent que l'on va trouver une des plus éminente femme médecin du siècle.
Hildegarde de Bingen est née en 1098 en Allemagne. Touchée par la grâce de Dieu dès 3 ans selon ses dires et décédée à l'âge vénérable de 81 ans, elle fut canonisée en 2012 et nommée "Docteur de l'Eglise". En effet, cette abbesse de caractère va écrire tout au long de sa vie quantité d'ouvrages de recherche sur la biologie, la botanique et l'histoire naturelle. Considérée comme médecin déjà de son temps, elle prodigue des soins à base de minéraux mais aussi et surtout dispose d'une pharmacopée immense pourvues de centaines de plantes qu'elle teste et utilise sans restriction pour soigner avec succès la plupart des maux. Elle démontrera également de grands talents de linguiste et de musicienne.

Néanmoins, son cas reste isolé. Car à part l'Italie, déjà en avance sur la science en générale et possédant une école réputée, l'école de médecine de Salerne, ouverte aux deux sexes, le reste de l'Europe médiévale reste frileuse quant à confier des soins aux femmes et particulièrement en France. La dernière médecin officiellement reconnue comme telle avant Madeleine Brès 700 ans plus tard, dont nous parlions au début de l'article, est Magistra Hersend chirurgienne de Louis IX. L'Ancien régime et son université de médecine n'admet que les hommes célibataires en son sein (ou mariés avec dérogation) et le cas de Jacqueline Félicie de Almania, une italienne vivant à Paris et exerçant la médecine "mieux qu'un homme" peut retenir notre attention. En effet dans le siècle d'Ambroise Paré le savoir médical est empirique et strict, elle fut donc jugée et condamnée à stopper tout exercice de soin pour l'unique raison que cet art ne pouvait être pratiqué correctement par les seuls hommes ayant étudié à la faculté. De très nombreuses femmes entre les XIIIe et XVe siècle furent accusés de sorcellerie et brûlées pour leur exercice illégale de la profession et si il est difficile d'en trouver un motif officiel, on pourra en retenir qu'une fois de plus les hommes de pouvoir n'aiment guère céder leur place. Depuis lors, si la médecine n'a pas été formellement interdite aux femmes par traité, la France n'en avait plus connu d'officielle jusqu'au XIXe siècle tant la pression exercée sur elles était forte et la peur d'une condamnation dissuasive.
Le reste de l'Europe suit sensiblement les mêmes règles bien que l'Allemagne et les Pays Bas autorisèrent l'étude de la médecine aux femmes respectivement au XVIIIe siècle pour l'un et quelques décennies avant la France pour l'autre.


Schéma anatomique de Léonard de Vinci, des croquis déconseillés aux chastes yeux féminins.

L'Eglise encourage vivement les hommes à tenir leurs épouses loin du savoir et particulièrement de l'anatomie étant jugée choquante pour les yeux purs d'une honnête mère de famille. Néanmoins, malgré cette interdiction tacite, dans le monde entier, les femmes se battent pour exercer leur savoir autodidacte dans la discrétion et parfois même, le secret.
Pratiquant pour la plupart l'exercice de sage femme ou d'infirmière, autorisé car ne répondant pas aux normes de l'étude de la médecine à proprement parlé, d'autres continuèrent à consigner l'étude anatomique, des plantes et de la biologie pour en faire profiter leur entourage. Cependant, en temps de guerre, les femmes sont souvent appelées au chevet des blessés, les médecins officiels et le clergé étant occupés ailleurs, on leur redonne la place qui leur est due lorsque la nécessité s'en fait vraiment sentir.

Faculté de medecine de Paris, la première en France à ouvrir ses portes aux femmes

A partir du XIXe siècle, tout s'accélère pour les femmes. Enfin admises dans les facultés de médecines, elles se révéleront douées et très nombreuses partout dans le monde. De très nombreux cas sont à noter à l'instar de Elizabeth Blackwell, première femme médecin certifiée aux Etats Unis en 1849 qui fonda son propre établissement réservé aux femmes en 1857.
Pour elle comme pour toutes les autres, l'apprentissage se relèvera néanmoins compliqué. Les préjugés des professeurs et des élèves en découragèrent bon nombre, poussant les résistantes à s'endurcir plus que de raison, dans les salles de dissection notamment, ou la moindre faiblesse était imputé à leur statut de femme. 
La première guerre mondiale acheva de convaincre le monde que les femmes pouvaient non seulement avoir les capacités intellectuelles pour faire de bons médecins mais également les capacités physiques et morales indispensables à l'exercice de leurs fonctions. Infirmières, aides aux soins, chirurgiens, médecins généralistes, sage-femmes, au XXe siècle, les différences s'atténuent entre les hommes et les femmes enfin reconnues dans leur bon droit qui pourtant leur avait été accordé bien avant notre ère dans la plupart des civilisations.

Equipe de femmes soignantes, première guerre mondiale, 1914
Psst : Envie d'un bon roman sur le sujet ? Je vous conseille le passionnant "Quand soufflera le vent de l'aube" d'Emma Fraser et le non moins excellent "1, rue des petits pas" de Nathalie Hug

Article : Hélène Rock
Illustration : Lawlie 

samedi 6 février 2016

[#1 Période de troubles] 14-18 Marraine de guerre.



Nous sommes en hiver 1916. Le monde s'enlise dans une guerre totale dont la vieille France est l'une des premières victimes. Des hommes de tout âge, de tout corps de métier, se retrouvent collés les uns aux autres dans la crasse et le froid, au fond de tranchées humides où sifflent les munitions au-dessus de leurs têtes, où grondent les obus. Lors des moments de répit, on joue aux cartes, on manipule la pioche du bout des doigts glacés, on fume et on s'échange les photographies jaunies et tâchées de nos fiancées, de nos femmes, celles laissées la bas, à l'arrière, qui nous attendent et nous écrivent.
Mais qu'en est-il de ceux que personne n'attend, des hommes célibataires ou veufs qui n'ont personne à qui se retenir, aucun souvenir de peau de pêche s'affairant à l'ouvrage devant une cheminée crépitante ? De ces hommes qui ne portent pas dans leur cœur l'image de l'être aimé offrant un sein plein à un enfant en santé, là-bas, très loin de l'horreur dans laquelle ils se sont embarqués de plein gré, il y a maintenant ce qui semble être un siècle ?

Pour ceux-là, il y a les Marraines de guerre. Dès fin 1914, la bonne société est ébranlée par le sort des soldats et le moral des troupes est au plus bas. On pensait il y a six mois à peine qu'on serait rentré pour Noël, et la plupart des soldats, de jeunes hommes au sommet de leur condition physique étant partis défendre la Patrie la fleur au fusil, sont désillusionnés, décharnés, ne comprennent pas le conflit dans lequel ils ont été entraînés, et comme, malgré la charpie qu'on en a fait, on arrive encore à faire un peu de psychologie, faire à nouveau entrer les femmes directement dans leurs vies semble une fois de plus, le remède au désespoir.



"L'oeuvre des marraines de guerre" en Belgique sera suivie d'associations telles que "La famille du soldat" ou "Mon soldat"  d'inspirations catholiques et fondées par de charitables dames patronnesses, parisiennes d'abord, puis provinciales, et soutenues par le ministre de la guerre de l'époque, Alexandre Millerand.
Leur but ? Écrire aux soldats, soutenir le moral des troupes, s'improviser femme d'une journée, d'une semaine ou d'une année. Raconter la vie hors du front, à l'arrière, parfois en détails politiques mais surtout dans le but de faire retrouver à ces fantômes de la guerre le quotidien de leurs fermes et de leurs vies. Durant l'année 1915, des milliers de femmes vont se porter volontaires pour écrire aux soldats, leur permettre d’épancher leurs peines et de se tourner vers un être compréhensif, les raccrochant au réel. Le travail est fastidieux car le courrier passe assez mal sur le front, néanmoins il est autant que possible distribué chaque jour, ce qui donne à la marraine une belle dose de travail et d'inventivité pour ne pas décevoir celui qui attend patiemment que le jour se lève pour lire les nouvelles.
Pour obtenir une marraine, nul besoin d'être lettré, la plupart des soldats ont d'ailleurs un niveau orthographique proche du néant. Néanmoins il y a toujours un camarade pour lire et répondre au courrier de l'autre en plus du sien. La demande dépasse rapidement l'offre, chaque soldat esseulé – ou pas – voulant "sa" marraine, bien que ces femmes étaient souvent la marraine de plusieurs hommes à la fois. Le gouvernement fera donc des appels fréquents à la générosité, souvent bien au-delà de nos frontières, allant jusqu'à demander de l'aide à la rédaction aux États-Unis.
Il n'est évidemment pas facile de conserver les centaines de lettres qui s'entassent. On propose aux poilus de les conserver à l'arrière dans des bureaux, ils pourront venir rechercher leur correspondance en permission ou à la fin de la guerre. Beaucoup refusent et conservent les lettres avec eux, prenant plaisir à les lire aux camarades, et surtout, à faire circuler les photos.

Illustration de demande de marraine, vers 1915

Parce que la marraine, elle joue le jeu à fond. Elle parfume les lettres, emballe soigneusement les petits objets et la nourriture, écrit de plusieurs couleurs et joint des photographies d'elle, de temps en temps, la pratique n'étant évidemment pas aussi courante à l'époque que de nos jours, vous vous en doutez. Cela rend l'objet précieux, "girly" et donc fort appréciable dans cet univers 100% masculin ou règnent non seulement la mort et la décrépitude mais aussi une forte odeur de mâle, de blagues grivoises, de testostérone affirmée. Le filleul peut y demander sa marque de tabac favorite, une bonne tablette de chocolat, et envoie en retour une fleur ramassée au bord d'un chemin, un bouton de chemise, ou simplement de la reconnaissance.
Tout ceci sonne assez bon enfant mais la moralité en ce début de XXe siècle chaotique n'est pas dupe et soupçonne nombre de marraines d'écrire et de recevoir du courrier plus orienté qu'il ne devrait. On fait ouvrir les lettres, on sermonne les discours crus mais on en empêche rarement la rédaction, après tout, ce qui peut donner espoir au soldat est toujours bon à prendre.
De plus, la marraine est un formidable outil de communication avec l'extérieur d'une manière générale. Si on surveille tout de même l'honnêteté de celle ci, on la laisse faire parvenir des nouvelles à la famille de son soldat, des objets personnels ou des requêtes. C'est une organisation de moins à gérer que d'avoir cet intermédiaire bénévole entre le soldat et ses proches.

Portrait de femme, 1915, Georges Herbert

Mais qui sont ces femmes ? Au début, souvent des mondaines ayant le souhait de participer à l'oeuvre patriotique, s'ennuyant dans ce pays en guerre où il n'y a plus rien à faire, plus rien à acheter. Mais très vite, chacune peut s'improviser marraine. De la paysanne à la bourgeoise, la soeur d'un camarade, sa mère, sa tante. Toute aide est la bienvenue et toute femme sachant plus ou moins écrire pourra se mettre à l'oeuvre.
La Marraine n'est pas nécessairement célibataire. Fiancée à un soldat dont elle n'a pas de nouvelles, mariée à un homme parti en guerre ou resté sur place pour cause d'infirmité ou d'âge, veuve qui n'attend que le retour de ses fils ou mère au foyer et solitaire s'occupant de ses jeunes enfants, la marraine de guerre a tous les visages. Néanmoins pour les plus jeunes, c'est également l'occasion de créer de belles romances, de vivre une histoire fantastique et romantique au gré des lettres, de la vie et de l'inconnu, permettant de se trouver un homme là ou il n'y avait que peu d'espoir (un village particulièrement isolé par exemple), en somme, une agence matrimoniale avant l'heure ! Beaucoup de relations épistolaires se finiront en flirt et quelques milliers en mariages, après la guerre, scellant là la belle histoire de l'amour qui triomphe.
Les journaux participent grandement au succès de l'opération, proposant dans leurs colonnes plusieurs pages d'annonces d'hommes en recherche d'une marraine. Certains se décrivent "je suis grand, je suis brun, je suis très beau" et d'autres... la décrivent "je recherche une grande, brune... et très belle !". Jean de la Valvoline écrira par exemple dans "La vie parisienne" en 1915 : "Poilu, peu de barbe, désire câliner petite marraine pour triompher des rongeurs moraux du front."Quoi qu'il en soit, les annonces fonctionnent si bien que de nombreux papiers sont obligés de cesser de proposer ce service au risque de voir les articles entièrement remplacés par des demandes de parrainage !



Néanmoins, avant la fin de la guerre, les gouvernements veulent cesser d'encourager la pratique. La peur de l'espionnage et du trouble à l'ordre moral sont les deux causes qui tracassent les autorités et bientôt on ira jusqu'à dire que ce travail de "petite vertu" (encouragé je vous le rappelle par les mêmes élus quelques années auparavant) n'est pas conforme avec la vie patriotique et la bonne marche de l'État en temps de guerre. Cela n'empêchera pas la plupart des soldats de continuer à correspondre avec leurs "petites femmes" et de se faire parrainer parmi la gent féminine de leur entourage.

Ce qu'il restera de ces témoignages, ce seront des milliers de descriptions de la vie quotidienne des soldats et des femmes de l'arrière, de la vie de tous les jours durant cette période très trouble de l'Histoire. Il existe encore aujourd'hui beaucoup de collectionneurs ou de familles ayant conservé cette correspondance qui permet de se rendre compte de la difficulté des troupes et du tragique de la situation, car lorsqu'une marraine de guerre cessait de recevoir du courrier, elle pouvait logiquement se douter, et du jour au lendemain, que son filleul était décédé.
La pratique n'existera pas ou très peu durant la seconde guerre mondiale, néanmoins elle est encore répandue dans certaines parties du monde ou le réconfort d'une femme suffit parfois à faire garder la foi à un homme, même au fond de la tourbe et du désespoir.

Carte postale d'un poilu et d'une marraine


Exemple d'échange épistolaire retrouvé :
"Le 23 février 1915 :
Chère Célestine,
Je suis Gustave Delmotte et je viens de vivre l'enfer. C'est pour combler ma solitude et ma tristesse que je t'écris. Le général de brigade Paulinier m'a dit hier qu'on pouvait écrire à des marraines de guerre.
Né à Nantes, j'ai longtemps vécu à Basse-Goulaine avec mes regrettés parents Désirée et Alphonse. Jamais je n'oublierai ce jour du 1er février 1915 où j'ai reçu cette lettre jaunâtre marqué d’un tampon rouge. Sans l'ouvrir, j'ai compris.
Alors j'ai dû rallier Paris le plus rapidement possible. Ensuite après avoir était rattaché au 54e régiment d'infanterie on m’a m'envoyé au front vers le village des Éparges. C'était la première fois que je quittais ma région natale. Je suis arrivé le 10 février où j'ai fait la connaissance d'Henri qui était là depuis plusieurs semaines. La vie dans les tranchées est difficile car la boue est partout, la neige aussi sans parler des rats qui nous tiennent compagnie.
L’odeur de la mort, le froid sont omniprésents. Henri m'a parlé de soldats qui se mutilent pour échapper au front. Aujourd'hui, je les comprends mieux. Dans ces premiers jours, j'ai essayé de m'aménager un petit coin avec mes affaires. Il y a six jours, le bruit de l’explosion de mines dans le camp allemand et des ordres me réveilla. Ce fut le début de quatre jours sanglants.
L’assaut fut ordonné et j'ai alors vu mes camarades tomber. Les tirs d’obus et de mitrailleuses se succédèrent dans un chaos épouvantable. Je ne peux en dire plus sur chère Célestine car les larmes me viennent. Depuis Les cris me hantent, je ne dors plus, je ne trouve plus Henri. C’est dur mais mon corps n'est pas blessé. J’espère de tout cœur pouvoir recevoir une lettre de ta part,
Gustave pour Célestine Lelièvre 8 rues de l’Église 44115 Basse-Goulaine A Basse-Goulaine, le 02 mars 1915"

"Cher Monsieur, 
 Quelle émotion lorsque j’ai reçu hier votre lettre. Je m'étais proposée à être marraine afin de partager les souffrances des soldats et de participer en quelque sorte à la vie notre pays. Depuis le début de cette terrible guerre, j'avais imaginé tout ce que vous devez endurer chaque jour mais jamais je n'aurais pensé que c'était aussi dur… Enfin je ne suis pas là pour me lamenter, au contraire. 
Donc je me nomme Célestine Lelièvre et vis à Basse-Goulaine. Je suis une assistante de la maîtresse du village depuis maintenant deux ans. J'ai un frère Jean-Marie Lelièvre qui comme vous est au front. Peut-être le connaissez-vous ? D'ailleurs vous devez certainement vous demander pourquoi je vous écris à vous et non à lui… En réalité je n'ai pas eu de nouvelles de lui depuis le début de la guerre malgré les nombreuses lettres que nous avons envoyées… Bon, je préfère arrêter de parler de mon frère disparu. J'aimerais beaucoup avoir de vos nouvelles, savoir comment vous vous portez, vos occupations. Il me tarde d'avoir une réponse. À bientôt Célestine Post-scriptum : Je vous envoie aussi un colis de nourriture et je vous promets que j'essaierai de vous obtenir une permission."

Psst ! : Envie d'en savoir plus ?
Catherine Cuenca à écrit un petit ouvrage à la fois pour les enfants et pour les adultes retraçant fidèlement l'histoire d'un poilu et de sa correspondance à sa marraine. "La marraine de Guerre"

Article : Hélène Rock
Illustration : Lawlie 

dimanche 24 janvier 2016

[# 1 Ensemble de citations] L'enfantement / La mise


[ Cette semaine, un article un peu spécial car la rédactrice principale du blog est sur le point de donner naissance à son second enfant, ce qui bouleverse un peu les programmes pour les semaines à venir. Nous nous en excusons et vous disons très vite pour un retour à la normal sur La Plume et le Lys ! ]



Ces dernières semaines, nous avons abordé sur le blog la question de l'enfantement et de la mise en beauté de la femme. Voici un ensemble éclairé - ou pas - polémique - ou pas - philosophique - ou pas sexiste - ou pas de citations en rapport, d'auteurs plus ou moins engagés sur ces causes que désormais vous connaissez bien ! Comme vous pourrez le voir, chacun à son avis plus ou moins tranché sur ces questions. Et vous, des citations que vous aimez en particulier sur ces thèmes ? Dites nous tout en commentaire ou sur la page facebook !

“Les pères nobles ont des enfants nobles.” Euripide
“Aujourd'hui ou on s'épouse et on n'a pas d'enfant ou on ne s'épouse pas et on a des enfants.” Colette
“Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères, et réciproquement les pères à leurs enfants, sans le titre d'héritiers.” Montesquieu
“Une mère doit toujours réfléchir deux fois, une fois pour elle-même, une fois pour son enfant.” Sophia Loren
“Il y a plus inconnu encore que le soldat inconnu : sa femme !” Banderole féministe 1970
"La femme s’épanouit en donnant la vie." Louis Donnadieu
“Si on écoutait les opposants à l'avortement on tricoterait des brassières aux spermatozoïdes.” Guy Bedos
“L'accouchement est douloureux. Heureusement, la femme tient la main de l'homme. Ainsi, il souffre moins.” Desproges
“Quand les hommes accoucheront, les femmes penseront.” Talvart
“L'histoire de la femme est l'histoire de la pire forme de tyrannie que le monde ait jamais connue : la tyrannie du faible sur le fort. C'est la seule tyrannie qui perdure.” Oscar Wild
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“La beauté de la femme est un fruit délicat : elle fleurit partout, mais elle ne mûrit qu'en espalier contre un mari.” Edmond About
“La toilette est la cuisine de la beauté ; chaque femme, chaque jour, imagine des ragoûts pour ses charmes, qu'elle doit servir le soir à l'admiration affamée des regard.” Alphonse Karr
“Dans l'examen de la beauté d'une femme, la première chose que j'écarte sont les jambes.” Giacomo Casanova
“On entend, sans doute, par demi-mondaine une femme qui se donne à un homme sur deux.” Anonyme
“La mode domine les provinciales, mais les parisiennes dominent la mode.” Rousseau
« Donne à une fille les bonnes chaussures et elle peut conquérir le monde » Marilyn Monroe
« Vaines bagatelles qu’ils semblent être, les vêtements ont, disent-ils, un destin plus important que de nous tenir chaud. Ils changent notre vision du monde et le point de vue du monde sur nous. » Virginia Woolf

Illustration : Lawlie

dimanche 17 janvier 2016

[#1 Analyse d'oeuvre] L'enfantement - "Madame de Privat et ses deux filles"

"Madame de Privat et ses deux filles" - Antoine RASPAIL 1791


Une femme, jeune et élégante, est assise dans un fauteuil Louis XV.

Elle tient un bébé endormi dans ses bras et, à son côté, une petite fille tient un petit chien sur ses genoux. Le cadrage est serré autour de cette scène. Le mur du fond, proche et sombre finit de fermer l’espace pictural. Ce cadrage induit de la proximité et donne une dimension intime à la scène. Nous sommes face à un portrait classique et de bonne facture. Nous datons sans trop de difficultés cette peinture comme étant du XVIIIème siècle et nous identifions facilement le sujet comme étant celui d’une femme riche et de ses enfants. Tout est là. Rien de plus rien de moins. Les personnages sont statiques et silencieux. Ils posent. Le peintre ne cherche pas à cacher une rigueur induite par l’immobilité des modèles, il ne cherche pas non plus à faire passer un message métaphysique ou à chambouler les codes de la peinture ou de l’Histoire de l’Art. 

Je vous présente donc Madame de Privat et ses deux filles. On ne se sait pas grand-chose de cette femme, si ce n’est qu’elle vivait en Arles durant la seconde moitié du XVIIIème siècle, son époux était gouverneur du roi à Beaucaire. Ayant un certain niveau de vie elle a pu se permettre de demander à être portraiturée. Elle fit appel à un artiste local, spécialisé dans le portrait : Antoine Raspail. Ce portrait date de 1791, et je ne vous apprends rien en vous disant qu’à cette époque les femmes n’ont pas beaucoup de liberté ni de réelles importances dans la société. 
Mais Antoine Raspail semble être un de ces hommes à porter un regard plus juste sur les femmes. Il a deux soeurs qui ont su prendre de l’importance, la première, Catherine, en ayant une longue liaison avec un homme noble, la seconde, Thérèse, en étant à la tête d’un atelier de couture où elle emploie plusieurs femmes. Fier de ses soeurs, il les peint souvent en les montrant dans leurs vies quotidiennes. Il réalise aussi de nombreux portraits de femmes, le plus souvent des anonymes issues de la classe intermédiaire qui se parent pour l’occasion de leurs plus beaux costumes et bijoux.

Comment c’est passé la première rencontre entre l’artiste et Madame de Privat ? Personne ne le sait. Il devait s’agir d’une commande personnelle, d’un portrait destiné à la sphère privée. En cela ils ont dû convenir d’un prix, d’un format et d’un délai. Ils ont dû aussi parler de ce qu’attendait Madame de Privat. J’imagine le peintre faisant un bon nombre de propositions, montrant en référence des toiles qu’il avait déjà réalisées ou proposant à sa commanditaire quelques idées modernes des peintres de Paris dont il devait avoir eu connaissance. De tous ces prémices on ne sait rien. Mais le tableau est là, et par sa composition, son style, son sujet, il nous en dit beaucoup sur ce qui a pu se jouer et se demander en amont. Il nous renseigne aussi sur le caractère de madame de Privat et sur l’image qu’elle voulait donner d’elle-même. 

Tout d’abord Madame a choisi d’être sans son mari mais accompagnée de ses deux enfants et d’un petit chien. Elle reste le personnage principal, c’est son portrait, mais elle a voulu s’entourer de ses deux petites filles. Elle voulait être représentée et figée dans le temps comme ceci : une mère. C’est donc le statut qu’elle choisit de mettre en avant, avant celui d'aristocrate, d’épouse ou de femme pieuse. Ce rôle de mère semble lui plaire et lui apporter de la joie. Son expression nous indique qu’elle vit la maternité ni comme un fardeau ni comme un devoir social ou religieux. Elle est pimpante, souriante et elle trône fièrement avec ses deux filles. Aujourd’hui l’image peut nous paraître naturelle et standardisée. Mais au XVIIIème les codes de la maternité n’étaient pas du tout ceux d’aujourd’hui. Je me plais à imaginer les commentaires des amies de Madame de Privat devant ce tableau : « Tes cheveux sont splendides », « le peintre a très bien rendu ton manteau de robe », « qu’elle bonne idée d’avoir posé avec ce petit chien de race »... Mais est-ce que comme aujourd’hui, où la moindre image amène des débats, certains commentaires auraient amené plus de réflexion ? « Tu fais porter à ton bébé une brassière souple… Tu n’as pas peur qu’il ne pousse pas droit ? » ou au contraire « Pourquoi contraindre le corps de ton bébé? tu ne suis pas les préceptes modernistes ? », « C’est moi où on voit ton sein droit qui dépasse de ta robe ? Tu lui donnes toi-même le sein ? », « Pourquoi avoir mis tes enfants sur le portrait ? Tu passes beaucoup de temps avec eux ? » 



Car oui Madame de Privat, sait qu’un portrait n’est pas qu’une simple image représentant les caractéristiques physiques et qu’il peut aussi permettre d’expliquer aux autres qui l’on est et qui l’ont veut être. Alors elle ne s’en prive pas. 
Elle dit qui elle est et ce qu’elle décide. D’abord elle montre qu’elle suit la mode et qu’elle est coquette comme en témoigne cette impressionnante chevelure fleurie, artistiquement voilée, poudrée, architecturée. Elle semble à la limite du too much… Mais bon, on se fait pas tirer le portrait tous les quatre matins alors autant charger un peu la coiffure et puis en copiant ce qui se fait de plus sophistiqué ne montre-ton pas aussi son statut social ? De toute façon sa robe à la polonaise, sa grosse coiffure, elle n’a pas que ça d’important dans sa vie maintenant. Elle a deux petites filles et elle veut s’impliquer dans leurs soins et leurs éducations, et elle le montre ici. Elle veut tisser du lien avec ses enfants qui selon elle ne sont pas que des adultes en devenir mais bien des petites personnes avec leur individualité et leur sensibilité. En cela elle est moderne. 

C’est une mère moderne qui se soucie des nouveaux préceptes sur l’éducation et qui aspire à davantage de rapprochement envers ses filles qu’elle a dû recevoir enfant de sa propre mère. Nourris par des nourrices, et élevés à distance des parents, les enfants riches du XVIIIème ne recevaient que très peu le lien maternel. De plus la mortalité enfantine étant très forte on attendait, et ce dans tous les milieux sociaux, que ces fragiles individus deviennent plus grands pour s’attacher à eux et leur accorder de l’importance. Enfin leurs petits corps fragiles étaient vus comme « à transformer ». Pour qu’un enfant marche et se tienne droit il fallait le « façonner ». On plaçait son corps dans des vêtements rigides et on pinçait son petit nez pour qu’il prenne sa forme correcte. La nature ne faisait pas bien les choses. Il fallait agir sur elle pour devenir un être humain. Et puis des idées nouvelles sont arrivés. Elles amenèrent un nouvel humanisme, plus sentimental et réconciliant l’homme et la nature. Le livre de Jean-Jacques Rousseau Emile ou de l’Education, publié en 1762 s’était largement diffusé et ses idées modernes sur l’enfant commençaient à porter du fruit aux quatre coins du pays. 

Ce nouveau regard sur l’enfant, Madame Privat nous le montre dans son portrait. Ainsi elle souhaite que ses enfants soient représentés dans cette peinture. Elle désire aussi mettre en avant son implication en tant que mère. Le petit bout de sein rose que j’ai abordé de manière anecdotique tout à l’heure veut en fait dire beaucoup. Il nous informe que Madame de Privat allaite sa petite fille et qu’elle en est fière. Le bébé repu qu’elle tient dans les bras, elle semble venir de le nourrir. Sa poitrine généreuse, qui parait à peine contenue par son manteau de robe, elle nous l’offre fièrement au regard comme un attribut féminin et maternel. Peut-être même que les gestes de sa fille aînée, en train de nourrir le petit être qu’elle tient dans ses bras, sont là pour nous rappeler l’acte nourricier de la mère. Peut-être que comme moi, à ce stade de votre lecture, vous serez pris d’une sympathie ou d’une affection pour cette femme. Personnellement elle me touche car elle essaie de se rallier aux préceptes modernes pour être une bonne mère mais elle garde paradoxalement des pratiques anciennes, et déjà contestés à l’époque, comme l’emmaillotement. 



Elle semble se créer un rôle de mère qui lui convient piochant de ci de là des idées quitte à ce qu’elles se contredisent. Elle montre aussi qu’elle peut être ultra sophistiquée, féminine et allaiter. J’aime aussi cette peinture parce que derrière le trait un peu naïf du peintre et la pose figée des modèles il se dégage beaucoup de tendresse et de sensibilité. Alors voilà avant de parler d’autres aspects de la féminité, dont certains sont plus graves ou plus douloureux, je voulais introduire ma participation sur ce blog par un portrait joyeux d’une dame toute rose et heureuse avec ses bébés. J’aurais plein de choses à vous dire encore sur l’allaitement, la maternité et la tétée traités par les artistes. Si vous êtes intéressés je continuerais bien volontiers et on pourra s’aventurer du côté de la Renaissance Italienne, de Picasso ou de Yoko Ono. 
Je précise que mon interprétation est toute personnelle. Les peintures sont muettes, surtout les méconnues, mais j’aime à les rendre parlantes et à laisser courir mon imagination sur certains détails. J’aurais pu vous donner pour ce tableau que des faits et des chiffres mais j’avais envie de me permettre quelques suppositions et aussi de rattacher l’oeuvre à des questionnements plus actuels. 

Psst : Envie d'aller plus loin ? 
Si vous êtes passionnés par les costumes anciens (et je pense que beaucoup de lecteurs le sont), et que les costumes locaux vous intéressent, je vous conseille "Histoire du Costume d'Arles" par Odile et Magali PASCAL. 
Pour un regard plus scientifique : le catalogue d'exposition Des habits et nous : Vêtir nos identités. 
Sur les bébés aux siècles précédents je vous conseille "Naître, et après ? Du bébé à l'enfant" de Drina Candilis-Huisman. Ce livre est accessible, il se lit vite et il est de plus extrêmement bien illustré.

Crédits :
Auteur :
Antoinette Novel
Peinture : Antoine RASPAIL, Madame de PrIvat et ses deux filles, 1791. Œuvre conservée au Museon Arlaten, Arles
Photo : Jean-Luc MABY
Merci à la ville d'Arles pour sa participation à la fourniture de la photographie HD de l'oeuvre.

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dimanche 10 janvier 2016

[#4 Au quotidien] Porter la vie, partie 2 - Classes inférieures et accouchement





La semaine dernière nous avons ouvert le chapitre sur l'enfantement et je vous ai parlé du poids de la grossesse dans la noblesse et la bourgeoisie, bien que de nombreuses de pressions s'appliquaient sur l'ensemble des femmes, les classes inférieures comprises. Nous allons revenir sur celles-ci et ferons un focus sur l'accouchement, toutes classes confondues, toujours sur une période relativement restreinte de la fin du Moyen-Âge à la fin du XIXe siècle. Si vous souhaitez que nous parlions d'une période en particulier ou d'avant cette ère, n'hésitez pas à me le dire en commentaire !

Au XVIe siècle, période que j'affectionne beaucoup, la population de la France est d'environ 16 millions de personnes et s’accroît très rapidement : pour preuve, elle passe au siècle suivant à près de 20 millions. Les naissances se succèdent et la mortalité infantile recule. Bien que marqué par de nombreux conflits, notamment de religion, le XVIe siècle est celui qui marquera le plus le progrès en particulier auprès de la médecine et de l'art d'enfanter, s'illustrant par un magnifique boom des naissances en Europe.
Depuis toujours ou presque, les classes inférieures occupent la plus grande partie de la démographie. Au Moyen-Âge, il existe peu de dénominations et de chiffres précis mais dès la Renaissance, un mode d'organisation social se met en place dont vous avez certainement déjà entendu parler :  "Noblesse", "Clergé" et "Tiers-État" (bien que nommé explicitement ainsi qu'après la Révolution Française). Le Tiers-État comprend les 9/10e de la population et englobe tous les métiers économiques. La bourgeoisie se développe et nombreux sont les marchands faisant fortune et pouvant amener leurs femmes à se faire suivre par des praticiens durant leur grossesse.
Mais la plupart des femmes de basse extraction se débrouillent et transmettent le savoir de l'enfantement de mère en fille, faisant appel aux services de sage-femmes, encore appelées "matrones", généralement âgées et possédant un savoir-faire basé sur l'expérience personnelle et la connaissance du terrain quasi exclusivement.
Si la femme pauvre accouche majoritairement sans savoir et dans un certain brouillard informatif, elle n'en est pas moins et depuis la nuit des temps, accompagnée. Les hommes, comme dans les classes élevées, sont exclus de la chambre de la parturiente mais bien d'autres accompagnantes en plus de la matrone si elle est disponible sont présentes, de la sœur à la grand mère en passant par la voisine. Plus encore que chez ces nobles dames, l'enfantement est une affaire de femmes chez les pauvres, une affaire de clan, une quasi habitude, ce qui n'en rend pas moins l'acte difficile et, encore souvent, mortel.

Accouchement avec l'aide d'une matrone, illustration du Moyen-Âge

Comme nous l'avons vu précédemment, les méthodes de contraception sont aussi nombreuses qu’inefficaces, et la femme du peuple tombe enceinte en moyenne 10 fois au cours de sa vie féconde. Nous ne reviendrons pas sur l'avortement clandestin que nous avons déjà abordé mais une autre pratique courante que l'on ne retrouve pas ou peu dans la noblesse car difficile à camoufler est également fréquente : l'abandon infantile lorsque les enfants étaient trop nombreux et qu'on ne pouvait guère les nourrir. Les églises étaient les lieux privilégiés pour abandonner un bébé, certaines possédant même un espace dédié, récemment modernisé et mis au goût du jour dans certains pays européens. Les religieux essayaient ensuite dans la mesure du possible de
recaser les orphelins chez des familles stériles, disposées à la charité, ou d'en faire des enfants de chœur. Beaucoup de patronymes français en ont d'ailleurs découlé tels que "Dieudonné", l'enfant donné à Dieu.

Néanmoins, animés par une foi sincère, le Tiers-État accueille sa descendance le plus souvent avec bienveillance, étant le fondement du mariage et la fondation d'une famille. Là encore, les garçons sont les bienvenus. Si les filles sont considérées comme moins inutiles que dans la noblesse, un solide mâle aidera son père aux travaux agricoles ou reprendra l'activité familiale. Le patriarcat est totalement ancré, le père de famille décide du mariage de ses filles, des activités de ses garçons – souvent l'aide à la vie du domaine – la carrière militaire et les ordres pour le petit dernier. Les jeunes filles aident leur mère avec les derniers nés, effectuent de nombreux travaux manuels pour l'ensemble de la famille, de la cuisine à la couture en passant par les soins aux bêtes. Une fois en âge de se marier, entre 13 et 17 ans du XIVe au XVIIIe siècle, un peu plus tard pour le XIXe, le père cherche un parti convenable et conclut un mariage avec une donation pour sa future belle famille. Argent chez les bourgeois, bien en nature chez les autres. Après le mariage, une grande et belle fête est donnée dans toutes les classes, surtout populaires, où l'on mange et boit bien plus que de raison, puis la jeune mariée passe sa première nuit avec son époux et tombe rapidement enceinte. Souvent même, on observe une plus grande fécondité chez les femmes du peuple, sans pouvoir vraiment se l'expliquer, bien qu'à l'époque, le grand air ou les vêtements moins ajustés, ajoutés à une alimentation spécifique, en seraient la cause.

La grossesse est vite repérée et la naissance du premier enfant est toujours couronnée d'un grand intérêt. Elle génère néanmoins de grandes angoisses pour la jeune femme, souvent à peine pubère, qui sont plus ou moins maîtrisées selon la facilité que les femmes de sa famille ont eu à accoucher. La croyance populaire veut en effet que les difficultés rencontrées lors des couches soient héréditaires.

La femme de basse extraction se préserve moins durant sa grossesse que la femme riche. Elle continue ses nombreux travaux, s'occupe de ses premiers enfants avec l'aide des aînés et parfois même poursuit ses activités aux champs et dans des labeurs peu recommandés. On la dit robuste, endurcie par les éléments et avec une génétique solide. S'il est certainement vrai que la pratique d'une activité physique tout au long de sa vie endurcit les femmes du peuple, nous ne possédons néanmoins pas de statistiques sur les fausses couches en campagne et encore moins sur celles qui seraient liées à une activité trop intense. Toujours est-il que les femmes enceintes n'ont guère le choix car personne ne les remplaçait et personne n'allait tenir leur intérieur à leur place. La grossesse, on faisait avec, bien loin de notre époque ou ces 9 mois font écho à une véritable mise en avant et une fierté notable.

Le jour J, lorsque les signes semblent annoncer une naissance imminente, les hommes sont éloignés de la chambre dans un isolement pouvant parfois durer plusieurs dizaines d'heures. Ils ne reverront leur femme que pour faire connaissance avec l'enfant ou si les choses devaient mal tourner. On peut facilement imaginer leurs longs moments d’inquiétudes à écouter les cris et l'activité provenant de l'autre côté de la porte. Ce n'est que très récemment que les hommes ont commencé à être admis auprès de leur femme, leur apportant soutien et bienveillance, mais là encore, cette pratique est courante en occident mais peu dans le reste du monde où l'accouchement reste affaire de femme. Seuls les médecins (toujours, ou presque, des hommes jusqu'au XIXe) présents dans les riches maisons à l'occasion et grâce aux progrès obstétriques, sont admis auprès des parturientes. Cette pratique mit du temps à s'imposer car la pudeur de la femme a longtemps empêché à ce métier, réservé de prime abord à la gent masculine, de s'imposer lors des accouchements. Hormis dans la Grèce Antique où sage-femme et gynécologue sont deux rôles bien définis et aussi valorisés l'un que l'autre, il fallut attendre le XVIe siècle pour que les médecins hommes aient à nouveau crédit auprès des femmes en couche. On s'en remettait aux matrones et c'est bien plus tard au XVIIe siècle (l'un des premiers lieux se trouvant en France à l'Hôtel-Dieu de Paris) que des écoles de sage-femmes tenues par des expérimentées du métier, ont commencé à voir le jour. Jamais médecin, et souvent méprisées par ceux ci, elles avaient néanmoins grâce à la détermination de quelques battantes, accès aux dissections et aux manuels leurs permettant de faire des filles des villages de vraies accoucheuses en pleine connaissance des enjeux médicaux de la grossesse et de la naissance. Eucharius Rosslin, médecin allemand, fit notamment profiter de son savoir aux sage-femmes avec son manuel "Der swangern Frawen und Hebammen Rosengarten" (Le Jardin de roses des femmes enceintes et des sage-femmes) donnant de nombreux conseils anatomiques et physiologiques. Mais bien avant cela, les femmes se contentaient de qui voulait bien les aider.

Matériel d'école de sage femme, XVIIIe siècle


Aujourd'hui la plupart des accouchements se font sur le dos pour permettre un certain confort au personnel médical quant-à l'accès à la "zone de travail". Mais avant la généralisation de la naissance à l'hôpital au milieu du XXe siècle, la femme accouchait souvent assise sur une chaise percée – encore utilisée dans les maternités physiologiques – ou accroupie, entourée par 2 paires de bras la soutenant fermement. Sans péridurale (découverte dès 1900 mais appliquée de façon continue à partir de 1960 uniquement) ces positions favorisaient l'expulsion et aidaient la femme à gérer sa douleur. Si on était peu regardant dans les communautés paysannes et qu'il arrivait qu'une dizaine de personnes obstruât la chambre de la future mère, dans la noblesse en revanche, ce retour à la nature et à la position animale devait absolument rester caché derrière une porte solidement fermée. Excepté, bien entendu, dans les sphères royales, où la reine, la dauphine ou la princesse du sang accouchent sous témoins derrière de simples rideaux de baldaquin et à la vue de dizaines de personnes dans une intimité dévoilée aux yeux de toute la cour.

"Mort de Jane Seymour" – Eugène Devéria 1847

Pour la majorité des femmes, l'accouchement est difficile mais connaît une fin heureuse. Néanmoins, jusqu'au XXe siècle, le taux de mortalité est incroyablement élevé par rapport aux chiffres que nous connaissons aujourd'hui en occident. Un enfant se présentant en siège (tête en haut ou transversalement), un bassin un peu étroit, un placenta un peu bas ou une tension trop élevée et la panique s'installait dans les chaumières. Contrairement à ce que dit la légende, la césarienne n'est absolument pas maîtrisée depuis l'Antiquité et il n'y a d'ailleurs aucune preuve que César lui-même soit né de cette façon – mais cela consolide le statut de force, on le concède – et si elle était fréquemment utilisée pour tenter en dernier recours de sauver l'enfant, elle s'effectuait généralement sur une mère déjà trépassée.
Il fallut attendre la toute fin du XIXe siècle avant que les femmes ne connaissent des césariennes réussies dont elles sortaient indemnes pour la "simple et bonne" raison qu'avant l'investigation de nombreux médecins, dont Pasteur, on ignorait qu'il fallut recoudre l'utérus avant de recoudre le ventre. Je vous laisse imaginer la finalité de l'opération...
De nombreuses légendes épiques de césariennes réussies et souvent loufoques circulaient néanmoins, comme ce porcher ayant pratiqué au couteau une césarienne sur sa femme comme il l'avait fait sur une truie pour la sauver en 1500, et avec succès je vous prie (aujourd'hui cette version est très contestée et n'a jamais pu être prouvée par aucun témoin ni écrit).
La vanité de la question étant néanmoins entendue, on cherchait le plus souvent à sauver la mère lorsque l'enfant se présentait mal ou pas. Dans des récits de l'époque à faire pâlir un solide médecin, on raconte comment armé d'une scie on découpait le fœtus à partir de l'intérieur pour en extraire des morceaux afin d'espérer hâter l'accouchement et sauvegarder la femme. La pauvre Gabrielle D'Estrée, maîtresse d'Henri IV, en fit les frais alors qu'elle se mourrait d'une éclampsie (surtension de fin de grossesse) à 7 mois. Naturellement, elle est tout de même décédée.

La naissance se finissait parfois donc dans un innommable bain de sang mais les versions les plus fréquentes restaient l'expulsion d'un enfant mort-né ayant été de longues heures en souffrance, ou de faible constitution et appelé à décéder quelques heures voir jours plus tard. De ce fait, un prêtre était souvent présent à la maison lors des accouchements, profitant de la durée du travail pour deviser autour d'une bonne bouteille avec les hommes du foyer. Celui-ci était aussi parfois appelé au chevet de la femme durant son accouchement pour aider à la délivrance à force de prières.

Il était plus rare de perdre la mère en suite de couche même si le phénomène encore une fois était bien plus fréquent qu'aujourd'hui, et parmi les puissants, on se souvient également de la jeune reine Jane Seymour, troisième épouse d'Henri XVIII d'Angleterre, décédée des suites d'une fièvre puerpérale après la délivrance.

Délivrance, Bas relief non daté, Grèce Antique

Une fois l'enfant né (ndlr : nous aborderons l'allaitement lors du chapitre consacré à l'éducation) il est impératif de le baptiser. La pratique recule significativement aujourd'hui mais elle était indispensable en campagne ou en ville, chez les pauvres ou les riches, jusqu'au milieu du XXe siècle. Comme la mortalité infantile était élevée et qu'un enterrement sans les sacrements de l'Église était impensable, on se hâtait d'organiser cet événement. L'enfant recevait son prénom et se voyait désigné un parrain et une marraine, souvent des membres de la famille mais parfois également des proches ou des relations diplomatiques dans les plus hautes sphères, qui d'une importance capitale se voyaient confier la tâche de veiller sur l'enfant en cas de décès ou d'incapacité de ses parents.
Le baptême était un jour de fête, le village y était convié et un beau repas était servi en l'honneur de l'événement.
La jeune mère avait quelques jours pour se remettre de ses couches où elle ne partageait pas le lit de son conjoint puis le cycle recommençait, lui permettant de retomber enceinte selon les désirs de son époux (et ceux de son corps il va sans dire).

L'histoire de l'accouchement est vaste et fascinante, nous en explorons aujourd'hui les grandes lignes mais n'hésitez pas à nous dire en commentaire si vous souhaitez revenir sur un point ou une époque en particulier.
La semaine prochaine, Antoinette, la rédactrice dédiée à l'Histoire de l'Art, commencera à aborder l'éducation et l'amour parental autour d'une analyse d’œuvre dédiée à la maternité.

Psst : Un livre référence sur l'accouchement et la grossesse dans l'Histoire ?
Une des bibles du genre à été écrite par Emmanuelle Berthiaud et se nomme "Enceinte : Une histoire de la grossesse entre art et société".
Je vais quant à moi acquérir sous peu les romans "La sage femme de Venise" de Roberta Rich et "La rebelle : femme médecin au Moyen Âge" de Valeria Montaldi afin de compléter l'excellente saga "Les accoucheuses" d'Anne Marie Sicotte dont je vous avait déjà précédemment parlé mais que je ne peux que vous recommander au vu de notre sujet.

Rédaction : Hélène Rock
Illustration : Lawlie