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dimanche 24 janvier 2016

[# 1 Ensemble de citations] L'enfantement / La mise


[ Cette semaine, un article un peu spécial car la rédactrice principale du blog est sur le point de donner naissance à son second enfant, ce qui bouleverse un peu les programmes pour les semaines à venir. Nous nous en excusons et vous disons très vite pour un retour à la normal sur La Plume et le Lys ! ]



Ces dernières semaines, nous avons abordé sur le blog la question de l'enfantement et de la mise en beauté de la femme. Voici un ensemble éclairé - ou pas - polémique - ou pas - philosophique - ou pas sexiste - ou pas de citations en rapport, d'auteurs plus ou moins engagés sur ces causes que désormais vous connaissez bien ! Comme vous pourrez le voir, chacun à son avis plus ou moins tranché sur ces questions. Et vous, des citations que vous aimez en particulier sur ces thèmes ? Dites nous tout en commentaire ou sur la page facebook !

“Les pères nobles ont des enfants nobles.” Euripide
“Aujourd'hui ou on s'épouse et on n'a pas d'enfant ou on ne s'épouse pas et on a des enfants.” Colette
“Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères, et réciproquement les pères à leurs enfants, sans le titre d'héritiers.” Montesquieu
“Une mère doit toujours réfléchir deux fois, une fois pour elle-même, une fois pour son enfant.” Sophia Loren
“Il y a plus inconnu encore que le soldat inconnu : sa femme !” Banderole féministe 1970
"La femme s’épanouit en donnant la vie." Louis Donnadieu
“Si on écoutait les opposants à l'avortement on tricoterait des brassières aux spermatozoïdes.” Guy Bedos
“L'accouchement est douloureux. Heureusement, la femme tient la main de l'homme. Ainsi, il souffre moins.” Desproges
“Quand les hommes accoucheront, les femmes penseront.” Talvart
“L'histoire de la femme est l'histoire de la pire forme de tyrannie que le monde ait jamais connue : la tyrannie du faible sur le fort. C'est la seule tyrannie qui perdure.” Oscar Wild
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“La beauté de la femme est un fruit délicat : elle fleurit partout, mais elle ne mûrit qu'en espalier contre un mari.” Edmond About
“La toilette est la cuisine de la beauté ; chaque femme, chaque jour, imagine des ragoûts pour ses charmes, qu'elle doit servir le soir à l'admiration affamée des regard.” Alphonse Karr
“Dans l'examen de la beauté d'une femme, la première chose que j'écarte sont les jambes.” Giacomo Casanova
“On entend, sans doute, par demi-mondaine une femme qui se donne à un homme sur deux.” Anonyme
“La mode domine les provinciales, mais les parisiennes dominent la mode.” Rousseau
« Donne à une fille les bonnes chaussures et elle peut conquérir le monde » Marilyn Monroe
« Vaines bagatelles qu’ils semblent être, les vêtements ont, disent-ils, un destin plus important que de nous tenir chaud. Ils changent notre vision du monde et le point de vue du monde sur nous. » Virginia Woolf

Illustration : Lawlie

dimanche 17 janvier 2016

[#1 Analyse d'oeuvre] L'enfantement - "Madame de Privat et ses deux filles"

"Madame de Privat et ses deux filles" - Antoine RASPAIL 1791


Une femme, jeune et élégante, est assise dans un fauteuil Louis XV.

Elle tient un bébé endormi dans ses bras et, à son côté, une petite fille tient un petit chien sur ses genoux. Le cadrage est serré autour de cette scène. Le mur du fond, proche et sombre finit de fermer l’espace pictural. Ce cadrage induit de la proximité et donne une dimension intime à la scène. Nous sommes face à un portrait classique et de bonne facture. Nous datons sans trop de difficultés cette peinture comme étant du XVIIIème siècle et nous identifions facilement le sujet comme étant celui d’une femme riche et de ses enfants. Tout est là. Rien de plus rien de moins. Les personnages sont statiques et silencieux. Ils posent. Le peintre ne cherche pas à cacher une rigueur induite par l’immobilité des modèles, il ne cherche pas non plus à faire passer un message métaphysique ou à chambouler les codes de la peinture ou de l’Histoire de l’Art. 

Je vous présente donc Madame de Privat et ses deux filles. On ne se sait pas grand-chose de cette femme, si ce n’est qu’elle vivait en Arles durant la seconde moitié du XVIIIème siècle, son époux était gouverneur du roi à Beaucaire. Ayant un certain niveau de vie elle a pu se permettre de demander à être portraiturée. Elle fit appel à un artiste local, spécialisé dans le portrait : Antoine Raspail. Ce portrait date de 1791, et je ne vous apprends rien en vous disant qu’à cette époque les femmes n’ont pas beaucoup de liberté ni de réelles importances dans la société. 
Mais Antoine Raspail semble être un de ces hommes à porter un regard plus juste sur les femmes. Il a deux soeurs qui ont su prendre de l’importance, la première, Catherine, en ayant une longue liaison avec un homme noble, la seconde, Thérèse, en étant à la tête d’un atelier de couture où elle emploie plusieurs femmes. Fier de ses soeurs, il les peint souvent en les montrant dans leurs vies quotidiennes. Il réalise aussi de nombreux portraits de femmes, le plus souvent des anonymes issues de la classe intermédiaire qui se parent pour l’occasion de leurs plus beaux costumes et bijoux.

Comment c’est passé la première rencontre entre l’artiste et Madame de Privat ? Personne ne le sait. Il devait s’agir d’une commande personnelle, d’un portrait destiné à la sphère privée. En cela ils ont dû convenir d’un prix, d’un format et d’un délai. Ils ont dû aussi parler de ce qu’attendait Madame de Privat. J’imagine le peintre faisant un bon nombre de propositions, montrant en référence des toiles qu’il avait déjà réalisées ou proposant à sa commanditaire quelques idées modernes des peintres de Paris dont il devait avoir eu connaissance. De tous ces prémices on ne sait rien. Mais le tableau est là, et par sa composition, son style, son sujet, il nous en dit beaucoup sur ce qui a pu se jouer et se demander en amont. Il nous renseigne aussi sur le caractère de madame de Privat et sur l’image qu’elle voulait donner d’elle-même. 

Tout d’abord Madame a choisi d’être sans son mari mais accompagnée de ses deux enfants et d’un petit chien. Elle reste le personnage principal, c’est son portrait, mais elle a voulu s’entourer de ses deux petites filles. Elle voulait être représentée et figée dans le temps comme ceci : une mère. C’est donc le statut qu’elle choisit de mettre en avant, avant celui d'aristocrate, d’épouse ou de femme pieuse. Ce rôle de mère semble lui plaire et lui apporter de la joie. Son expression nous indique qu’elle vit la maternité ni comme un fardeau ni comme un devoir social ou religieux. Elle est pimpante, souriante et elle trône fièrement avec ses deux filles. Aujourd’hui l’image peut nous paraître naturelle et standardisée. Mais au XVIIIème les codes de la maternité n’étaient pas du tout ceux d’aujourd’hui. Je me plais à imaginer les commentaires des amies de Madame de Privat devant ce tableau : « Tes cheveux sont splendides », « le peintre a très bien rendu ton manteau de robe », « qu’elle bonne idée d’avoir posé avec ce petit chien de race »... Mais est-ce que comme aujourd’hui, où la moindre image amène des débats, certains commentaires auraient amené plus de réflexion ? « Tu fais porter à ton bébé une brassière souple… Tu n’as pas peur qu’il ne pousse pas droit ? » ou au contraire « Pourquoi contraindre le corps de ton bébé? tu ne suis pas les préceptes modernistes ? », « C’est moi où on voit ton sein droit qui dépasse de ta robe ? Tu lui donnes toi-même le sein ? », « Pourquoi avoir mis tes enfants sur le portrait ? Tu passes beaucoup de temps avec eux ? » 



Car oui Madame de Privat, sait qu’un portrait n’est pas qu’une simple image représentant les caractéristiques physiques et qu’il peut aussi permettre d’expliquer aux autres qui l’on est et qui l’ont veut être. Alors elle ne s’en prive pas. 
Elle dit qui elle est et ce qu’elle décide. D’abord elle montre qu’elle suit la mode et qu’elle est coquette comme en témoigne cette impressionnante chevelure fleurie, artistiquement voilée, poudrée, architecturée. Elle semble à la limite du too much… Mais bon, on se fait pas tirer le portrait tous les quatre matins alors autant charger un peu la coiffure et puis en copiant ce qui se fait de plus sophistiqué ne montre-ton pas aussi son statut social ? De toute façon sa robe à la polonaise, sa grosse coiffure, elle n’a pas que ça d’important dans sa vie maintenant. Elle a deux petites filles et elle veut s’impliquer dans leurs soins et leurs éducations, et elle le montre ici. Elle veut tisser du lien avec ses enfants qui selon elle ne sont pas que des adultes en devenir mais bien des petites personnes avec leur individualité et leur sensibilité. En cela elle est moderne. 

C’est une mère moderne qui se soucie des nouveaux préceptes sur l’éducation et qui aspire à davantage de rapprochement envers ses filles qu’elle a dû recevoir enfant de sa propre mère. Nourris par des nourrices, et élevés à distance des parents, les enfants riches du XVIIIème ne recevaient que très peu le lien maternel. De plus la mortalité enfantine étant très forte on attendait, et ce dans tous les milieux sociaux, que ces fragiles individus deviennent plus grands pour s’attacher à eux et leur accorder de l’importance. Enfin leurs petits corps fragiles étaient vus comme « à transformer ». Pour qu’un enfant marche et se tienne droit il fallait le « façonner ». On plaçait son corps dans des vêtements rigides et on pinçait son petit nez pour qu’il prenne sa forme correcte. La nature ne faisait pas bien les choses. Il fallait agir sur elle pour devenir un être humain. Et puis des idées nouvelles sont arrivés. Elles amenèrent un nouvel humanisme, plus sentimental et réconciliant l’homme et la nature. Le livre de Jean-Jacques Rousseau Emile ou de l’Education, publié en 1762 s’était largement diffusé et ses idées modernes sur l’enfant commençaient à porter du fruit aux quatre coins du pays. 

Ce nouveau regard sur l’enfant, Madame Privat nous le montre dans son portrait. Ainsi elle souhaite que ses enfants soient représentés dans cette peinture. Elle désire aussi mettre en avant son implication en tant que mère. Le petit bout de sein rose que j’ai abordé de manière anecdotique tout à l’heure veut en fait dire beaucoup. Il nous informe que Madame de Privat allaite sa petite fille et qu’elle en est fière. Le bébé repu qu’elle tient dans les bras, elle semble venir de le nourrir. Sa poitrine généreuse, qui parait à peine contenue par son manteau de robe, elle nous l’offre fièrement au regard comme un attribut féminin et maternel. Peut-être même que les gestes de sa fille aînée, en train de nourrir le petit être qu’elle tient dans ses bras, sont là pour nous rappeler l’acte nourricier de la mère. Peut-être que comme moi, à ce stade de votre lecture, vous serez pris d’une sympathie ou d’une affection pour cette femme. Personnellement elle me touche car elle essaie de se rallier aux préceptes modernes pour être une bonne mère mais elle garde paradoxalement des pratiques anciennes, et déjà contestés à l’époque, comme l’emmaillotement. 



Elle semble se créer un rôle de mère qui lui convient piochant de ci de là des idées quitte à ce qu’elles se contredisent. Elle montre aussi qu’elle peut être ultra sophistiquée, féminine et allaiter. J’aime aussi cette peinture parce que derrière le trait un peu naïf du peintre et la pose figée des modèles il se dégage beaucoup de tendresse et de sensibilité. Alors voilà avant de parler d’autres aspects de la féminité, dont certains sont plus graves ou plus douloureux, je voulais introduire ma participation sur ce blog par un portrait joyeux d’une dame toute rose et heureuse avec ses bébés. J’aurais plein de choses à vous dire encore sur l’allaitement, la maternité et la tétée traités par les artistes. Si vous êtes intéressés je continuerais bien volontiers et on pourra s’aventurer du côté de la Renaissance Italienne, de Picasso ou de Yoko Ono. 
Je précise que mon interprétation est toute personnelle. Les peintures sont muettes, surtout les méconnues, mais j’aime à les rendre parlantes et à laisser courir mon imagination sur certains détails. J’aurais pu vous donner pour ce tableau que des faits et des chiffres mais j’avais envie de me permettre quelques suppositions et aussi de rattacher l’oeuvre à des questionnements plus actuels. 

Psst : Envie d'aller plus loin ? 
Si vous êtes passionnés par les costumes anciens (et je pense que beaucoup de lecteurs le sont), et que les costumes locaux vous intéressent, je vous conseille "Histoire du Costume d'Arles" par Odile et Magali PASCAL. 
Pour un regard plus scientifique : le catalogue d'exposition Des habits et nous : Vêtir nos identités. 
Sur les bébés aux siècles précédents je vous conseille "Naître, et après ? Du bébé à l'enfant" de Drina Candilis-Huisman. Ce livre est accessible, il se lit vite et il est de plus extrêmement bien illustré.

Crédits :
Auteur :
Antoinette Novel
Peinture : Antoine RASPAIL, Madame de PrIvat et ses deux filles, 1791. Œuvre conservée au Museon Arlaten, Arles
Photo : Jean-Luc MABY
Merci à la ville d'Arles pour sa participation à la fourniture de la photographie HD de l'oeuvre.

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dimanche 10 janvier 2016

[#4 Au quotidien] Porter la vie, partie 2 - Classes inférieures et accouchement





La semaine dernière nous avons ouvert le chapitre sur l'enfantement et je vous ai parlé du poids de la grossesse dans la noblesse et la bourgeoisie, bien que de nombreuses de pressions s'appliquaient sur l'ensemble des femmes, les classes inférieures comprises. Nous allons revenir sur celles-ci et ferons un focus sur l'accouchement, toutes classes confondues, toujours sur une période relativement restreinte de la fin du Moyen-Âge à la fin du XIXe siècle. Si vous souhaitez que nous parlions d'une période en particulier ou d'avant cette ère, n'hésitez pas à me le dire en commentaire !

Au XVIe siècle, période que j'affectionne beaucoup, la population de la France est d'environ 16 millions de personnes et s’accroît très rapidement : pour preuve, elle passe au siècle suivant à près de 20 millions. Les naissances se succèdent et la mortalité infantile recule. Bien que marqué par de nombreux conflits, notamment de religion, le XVIe siècle est celui qui marquera le plus le progrès en particulier auprès de la médecine et de l'art d'enfanter, s'illustrant par un magnifique boom des naissances en Europe.
Depuis toujours ou presque, les classes inférieures occupent la plus grande partie de la démographie. Au Moyen-Âge, il existe peu de dénominations et de chiffres précis mais dès la Renaissance, un mode d'organisation social se met en place dont vous avez certainement déjà entendu parler :  "Noblesse", "Clergé" et "Tiers-État" (bien que nommé explicitement ainsi qu'après la Révolution Française). Le Tiers-État comprend les 9/10e de la population et englobe tous les métiers économiques. La bourgeoisie se développe et nombreux sont les marchands faisant fortune et pouvant amener leurs femmes à se faire suivre par des praticiens durant leur grossesse.
Mais la plupart des femmes de basse extraction se débrouillent et transmettent le savoir de l'enfantement de mère en fille, faisant appel aux services de sage-femmes, encore appelées "matrones", généralement âgées et possédant un savoir-faire basé sur l'expérience personnelle et la connaissance du terrain quasi exclusivement.
Si la femme pauvre accouche majoritairement sans savoir et dans un certain brouillard informatif, elle n'en est pas moins et depuis la nuit des temps, accompagnée. Les hommes, comme dans les classes élevées, sont exclus de la chambre de la parturiente mais bien d'autres accompagnantes en plus de la matrone si elle est disponible sont présentes, de la sœur à la grand mère en passant par la voisine. Plus encore que chez ces nobles dames, l'enfantement est une affaire de femmes chez les pauvres, une affaire de clan, une quasi habitude, ce qui n'en rend pas moins l'acte difficile et, encore souvent, mortel.

Accouchement avec l'aide d'une matrone, illustration du Moyen-Âge

Comme nous l'avons vu précédemment, les méthodes de contraception sont aussi nombreuses qu’inefficaces, et la femme du peuple tombe enceinte en moyenne 10 fois au cours de sa vie féconde. Nous ne reviendrons pas sur l'avortement clandestin que nous avons déjà abordé mais une autre pratique courante que l'on ne retrouve pas ou peu dans la noblesse car difficile à camoufler est également fréquente : l'abandon infantile lorsque les enfants étaient trop nombreux et qu'on ne pouvait guère les nourrir. Les églises étaient les lieux privilégiés pour abandonner un bébé, certaines possédant même un espace dédié, récemment modernisé et mis au goût du jour dans certains pays européens. Les religieux essayaient ensuite dans la mesure du possible de
recaser les orphelins chez des familles stériles, disposées à la charité, ou d'en faire des enfants de chœur. Beaucoup de patronymes français en ont d'ailleurs découlé tels que "Dieudonné", l'enfant donné à Dieu.

Néanmoins, animés par une foi sincère, le Tiers-État accueille sa descendance le plus souvent avec bienveillance, étant le fondement du mariage et la fondation d'une famille. Là encore, les garçons sont les bienvenus. Si les filles sont considérées comme moins inutiles que dans la noblesse, un solide mâle aidera son père aux travaux agricoles ou reprendra l'activité familiale. Le patriarcat est totalement ancré, le père de famille décide du mariage de ses filles, des activités de ses garçons – souvent l'aide à la vie du domaine – la carrière militaire et les ordres pour le petit dernier. Les jeunes filles aident leur mère avec les derniers nés, effectuent de nombreux travaux manuels pour l'ensemble de la famille, de la cuisine à la couture en passant par les soins aux bêtes. Une fois en âge de se marier, entre 13 et 17 ans du XIVe au XVIIIe siècle, un peu plus tard pour le XIXe, le père cherche un parti convenable et conclut un mariage avec une donation pour sa future belle famille. Argent chez les bourgeois, bien en nature chez les autres. Après le mariage, une grande et belle fête est donnée dans toutes les classes, surtout populaires, où l'on mange et boit bien plus que de raison, puis la jeune mariée passe sa première nuit avec son époux et tombe rapidement enceinte. Souvent même, on observe une plus grande fécondité chez les femmes du peuple, sans pouvoir vraiment se l'expliquer, bien qu'à l'époque, le grand air ou les vêtements moins ajustés, ajoutés à une alimentation spécifique, en seraient la cause.

La grossesse est vite repérée et la naissance du premier enfant est toujours couronnée d'un grand intérêt. Elle génère néanmoins de grandes angoisses pour la jeune femme, souvent à peine pubère, qui sont plus ou moins maîtrisées selon la facilité que les femmes de sa famille ont eu à accoucher. La croyance populaire veut en effet que les difficultés rencontrées lors des couches soient héréditaires.

La femme de basse extraction se préserve moins durant sa grossesse que la femme riche. Elle continue ses nombreux travaux, s'occupe de ses premiers enfants avec l'aide des aînés et parfois même poursuit ses activités aux champs et dans des labeurs peu recommandés. On la dit robuste, endurcie par les éléments et avec une génétique solide. S'il est certainement vrai que la pratique d'une activité physique tout au long de sa vie endurcit les femmes du peuple, nous ne possédons néanmoins pas de statistiques sur les fausses couches en campagne et encore moins sur celles qui seraient liées à une activité trop intense. Toujours est-il que les femmes enceintes n'ont guère le choix car personne ne les remplaçait et personne n'allait tenir leur intérieur à leur place. La grossesse, on faisait avec, bien loin de notre époque ou ces 9 mois font écho à une véritable mise en avant et une fierté notable.

Le jour J, lorsque les signes semblent annoncer une naissance imminente, les hommes sont éloignés de la chambre dans un isolement pouvant parfois durer plusieurs dizaines d'heures. Ils ne reverront leur femme que pour faire connaissance avec l'enfant ou si les choses devaient mal tourner. On peut facilement imaginer leurs longs moments d’inquiétudes à écouter les cris et l'activité provenant de l'autre côté de la porte. Ce n'est que très récemment que les hommes ont commencé à être admis auprès de leur femme, leur apportant soutien et bienveillance, mais là encore, cette pratique est courante en occident mais peu dans le reste du monde où l'accouchement reste affaire de femme. Seuls les médecins (toujours, ou presque, des hommes jusqu'au XIXe) présents dans les riches maisons à l'occasion et grâce aux progrès obstétriques, sont admis auprès des parturientes. Cette pratique mit du temps à s'imposer car la pudeur de la femme a longtemps empêché à ce métier, réservé de prime abord à la gent masculine, de s'imposer lors des accouchements. Hormis dans la Grèce Antique où sage-femme et gynécologue sont deux rôles bien définis et aussi valorisés l'un que l'autre, il fallut attendre le XVIe siècle pour que les médecins hommes aient à nouveau crédit auprès des femmes en couche. On s'en remettait aux matrones et c'est bien plus tard au XVIIe siècle (l'un des premiers lieux se trouvant en France à l'Hôtel-Dieu de Paris) que des écoles de sage-femmes tenues par des expérimentées du métier, ont commencé à voir le jour. Jamais médecin, et souvent méprisées par ceux ci, elles avaient néanmoins grâce à la détermination de quelques battantes, accès aux dissections et aux manuels leurs permettant de faire des filles des villages de vraies accoucheuses en pleine connaissance des enjeux médicaux de la grossesse et de la naissance. Eucharius Rosslin, médecin allemand, fit notamment profiter de son savoir aux sage-femmes avec son manuel "Der swangern Frawen und Hebammen Rosengarten" (Le Jardin de roses des femmes enceintes et des sage-femmes) donnant de nombreux conseils anatomiques et physiologiques. Mais bien avant cela, les femmes se contentaient de qui voulait bien les aider.

Matériel d'école de sage femme, XVIIIe siècle


Aujourd'hui la plupart des accouchements se font sur le dos pour permettre un certain confort au personnel médical quant-à l'accès à la "zone de travail". Mais avant la généralisation de la naissance à l'hôpital au milieu du XXe siècle, la femme accouchait souvent assise sur une chaise percée – encore utilisée dans les maternités physiologiques – ou accroupie, entourée par 2 paires de bras la soutenant fermement. Sans péridurale (découverte dès 1900 mais appliquée de façon continue à partir de 1960 uniquement) ces positions favorisaient l'expulsion et aidaient la femme à gérer sa douleur. Si on était peu regardant dans les communautés paysannes et qu'il arrivait qu'une dizaine de personnes obstruât la chambre de la future mère, dans la noblesse en revanche, ce retour à la nature et à la position animale devait absolument rester caché derrière une porte solidement fermée. Excepté, bien entendu, dans les sphères royales, où la reine, la dauphine ou la princesse du sang accouchent sous témoins derrière de simples rideaux de baldaquin et à la vue de dizaines de personnes dans une intimité dévoilée aux yeux de toute la cour.

"Mort de Jane Seymour" – Eugène Devéria 1847

Pour la majorité des femmes, l'accouchement est difficile mais connaît une fin heureuse. Néanmoins, jusqu'au XXe siècle, le taux de mortalité est incroyablement élevé par rapport aux chiffres que nous connaissons aujourd'hui en occident. Un enfant se présentant en siège (tête en haut ou transversalement), un bassin un peu étroit, un placenta un peu bas ou une tension trop élevée et la panique s'installait dans les chaumières. Contrairement à ce que dit la légende, la césarienne n'est absolument pas maîtrisée depuis l'Antiquité et il n'y a d'ailleurs aucune preuve que César lui-même soit né de cette façon – mais cela consolide le statut de force, on le concède – et si elle était fréquemment utilisée pour tenter en dernier recours de sauver l'enfant, elle s'effectuait généralement sur une mère déjà trépassée.
Il fallut attendre la toute fin du XIXe siècle avant que les femmes ne connaissent des césariennes réussies dont elles sortaient indemnes pour la "simple et bonne" raison qu'avant l'investigation de nombreux médecins, dont Pasteur, on ignorait qu'il fallut recoudre l'utérus avant de recoudre le ventre. Je vous laisse imaginer la finalité de l'opération...
De nombreuses légendes épiques de césariennes réussies et souvent loufoques circulaient néanmoins, comme ce porcher ayant pratiqué au couteau une césarienne sur sa femme comme il l'avait fait sur une truie pour la sauver en 1500, et avec succès je vous prie (aujourd'hui cette version est très contestée et n'a jamais pu être prouvée par aucun témoin ni écrit).
La vanité de la question étant néanmoins entendue, on cherchait le plus souvent à sauver la mère lorsque l'enfant se présentait mal ou pas. Dans des récits de l'époque à faire pâlir un solide médecin, on raconte comment armé d'une scie on découpait le fœtus à partir de l'intérieur pour en extraire des morceaux afin d'espérer hâter l'accouchement et sauvegarder la femme. La pauvre Gabrielle D'Estrée, maîtresse d'Henri IV, en fit les frais alors qu'elle se mourrait d'une éclampsie (surtension de fin de grossesse) à 7 mois. Naturellement, elle est tout de même décédée.

La naissance se finissait parfois donc dans un innommable bain de sang mais les versions les plus fréquentes restaient l'expulsion d'un enfant mort-né ayant été de longues heures en souffrance, ou de faible constitution et appelé à décéder quelques heures voir jours plus tard. De ce fait, un prêtre était souvent présent à la maison lors des accouchements, profitant de la durée du travail pour deviser autour d'une bonne bouteille avec les hommes du foyer. Celui-ci était aussi parfois appelé au chevet de la femme durant son accouchement pour aider à la délivrance à force de prières.

Il était plus rare de perdre la mère en suite de couche même si le phénomène encore une fois était bien plus fréquent qu'aujourd'hui, et parmi les puissants, on se souvient également de la jeune reine Jane Seymour, troisième épouse d'Henri XVIII d'Angleterre, décédée des suites d'une fièvre puerpérale après la délivrance.

Délivrance, Bas relief non daté, Grèce Antique

Une fois l'enfant né (ndlr : nous aborderons l'allaitement lors du chapitre consacré à l'éducation) il est impératif de le baptiser. La pratique recule significativement aujourd'hui mais elle était indispensable en campagne ou en ville, chez les pauvres ou les riches, jusqu'au milieu du XXe siècle. Comme la mortalité infantile était élevée et qu'un enterrement sans les sacrements de l'Église était impensable, on se hâtait d'organiser cet événement. L'enfant recevait son prénom et se voyait désigné un parrain et une marraine, souvent des membres de la famille mais parfois également des proches ou des relations diplomatiques dans les plus hautes sphères, qui d'une importance capitale se voyaient confier la tâche de veiller sur l'enfant en cas de décès ou d'incapacité de ses parents.
Le baptême était un jour de fête, le village y était convié et un beau repas était servi en l'honneur de l'événement.
La jeune mère avait quelques jours pour se remettre de ses couches où elle ne partageait pas le lit de son conjoint puis le cycle recommençait, lui permettant de retomber enceinte selon les désirs de son époux (et ceux de son corps il va sans dire).

L'histoire de l'accouchement est vaste et fascinante, nous en explorons aujourd'hui les grandes lignes mais n'hésitez pas à nous dire en commentaire si vous souhaitez revenir sur un point ou une époque en particulier.
La semaine prochaine, Antoinette, la rédactrice dédiée à l'Histoire de l'Art, commencera à aborder l'éducation et l'amour parental autour d'une analyse d’œuvre dédiée à la maternité.

Psst : Un livre référence sur l'accouchement et la grossesse dans l'Histoire ?
Une des bibles du genre à été écrite par Emmanuelle Berthiaud et se nomme "Enceinte : Une histoire de la grossesse entre art et société".
Je vais quant à moi acquérir sous peu les romans "La sage femme de Venise" de Roberta Rich et "La rebelle : femme médecin au Moyen Âge" de Valeria Montaldi afin de compléter l'excellente saga "Les accoucheuses" d'Anne Marie Sicotte dont je vous avait déjà précédemment parlé mais que je ne peux que vous recommander au vu de notre sujet.

Rédaction : Hélène Rock
Illustration : Lawlie

dimanche 3 janvier 2016

[#3 Au quotidien] Porter la vie, partie 1 - La noblesse et bourgeoisie





Donner la vie est une évidence depuis la nuit des temps, l'acte le plus essentiel existant pour pérenniser toute espèce. Un homme et une femme joignent leurs corps, la femme tombe enceinte, elle accouche, elle alimente, elle élève, puis ce nouvel être crée à son tour un nouveau cycle. Dans les faits, tout ceci est immuable et paraît presque simple.
Néanmoins, la grossesse et l'accouchement, d'une façon générale ce qu'on appelait encore il n'y a pas très longtemps "l'enfantement", est l'acte ayant conduit le plus de femme à la répudiation, à la honte et à la mort.
C'est cette aventure incroyable qui, au lieu d'être naturelle, a renforcé à tout jamais les inégalités entre les êtres, et en particulier envers le sexe féminin, que nous allons vous raconter dans ce nouveau chapitre.

Il faut savoir que le processus exact de l'installation d'un embryon dans le corps d'une femme n'est connu que depuis le XVIIIe siècle. Avant, toutes les théories allaient de bon train et même si certains croquis anatomiques de la Renaissance ont très tôt posé les évidences de la matrice féminine et de l'accouchement notamment grâce à la dissection. Mais c'est très tard grâce à Lazzaro Spallazani que le monde a découvert que les deux sexes avaient à égalité leur part du gâteau dans la conception. Il était répandu de penser que la femme possédait déjà un embryon dans l'utérus qui activait sa croissance à la réception du sperme (oui, comme les poules). On pensait également que la capacité d'un homme à faire des garçons était un bon barème à sa virilité, et bien sûr, qu'un couple maudit, principalement par l'action de la femme, était condamné à n'enfanter que des filles ou à cumuler les accidents de parcours.
Vous ne pouvez vous imaginer l'immense soulagement pour l'ensemble du beau sexe lorsque la science a enfin posé son diagnostic sur le choix de Dieu, garçon ou fille, c'est le spermatozoïde qui porte le génome, et non pas l'ovule, la femme n'est donc pas "responsable".
Car en effet, dans les familles, qu'elles soient nobles, bourgeoises ou de basse extraction, il était indispensable d'avoir au moins un garçon pour assurer l'héritage, qu'il soit culturel, terrien ou financier. Nous reviendrons dans la partie 2 de "porter la vie" sur les classes inférieures et allons nous concentrer aujourd'hui sur la pression exercée dans les milieux riches.

Les règles du jeu ne changent guère du Moyen Âge au début du XXe siècle. Rarement convention fut aussi longue à changer. Un enfant bien né est un enfant conçu dans le mariage, entre une femme nubile (dès les premières règles) et son mari. Dans toutes les cours françaises, à toutes les époques, dans toutes les familles bien nées, une femme qui tomberait enceinte hors mariage serait couverte de réprobation. On ferait partir la mère dès que son état commencerait à se voir, prétextant un problème de santé (bien que vous vous doutez que la populace était rarement dupe, ayant certainement vécu la même chose l'année écoulée), puis naître l'enfant en campagne, on le confierait alors à une nourrice dans le meilleur des cas, à un couvent, une famille de paysan, qui que ce soit qui nous sortirait de ce mauvais pas. La femme reviendrait quelques jours après son accouchement et devrait en garder le moins de séquelle possible afin de ne surtout pas afficher sa condition. Revoir l'enfant ? Au bon vouloir du père de famille mais souvent pour effacer la honte et enterrer l'événement, on poussait les jeunes mères à purement et simplement oublier cette maternité impie.

Richard Redgrave 1851, "Un père chasse sa fille et son enfant illégitime"

Il était évidemment plus facile pour une femme de tomber enceinte de son amant une fois mariée, ce qui bien sûr arrivait fréquemment. Sans tests ADN, sans preuve et souvent dans le secret, le mari cocufié n’apprenait jamais qu'il n'était pas le père et l'honneur était sauf.
De nos jours, éviter une grossesse est devenu un acte quotidien. Nous avons cette chance depuis l'équivalent d'une seconde dans l'Histoire de l'humanité, mais nos ancêtres, elles, ont souvent mis leur vie en grand danger pour éviter de tomber enceinte et profiter ainsi d'une liberté sexuelle relative. On s'introduisait différentes substances dans le vagin car, si le rôle de chacun n'était pas encore bien établi, il a toujours été relativement évident que c'est l'acte sexuel qui déclenche la grossesse. Le miel, le cèdre, la pulpe de figue ou de grenade, ou bien plus surprenant comme des mélanges à base de plomb et d'huile voir d'excréments d'animaux, servaient de remède contraceptif.
Sans grand succès ces méthodes laissaient place à des tampons de laine ou de tissus placés au début du col de l’utérus, et évidemment, le fameux retrait, voir l'abstinence avant et après les règles, ce qui, je ne vous l'apprends pas, n'était guère efficace.
Néanmoins, le préservatif masculin apparaît très tôt dans l'Histoire. Officiellement au XVIe siècle en Asie, les archéologues ont retrouvé des étuis péniens en bois datant d'il y a 6000 ans ! Nous devons à Gabriel Fallope en 1564 le premier préservatif moderne en Europe, un fourreau en lin imbibé d'herbes. Suivront les premiers spermicides, les préservatifs en caoutchouc à laver à chaque utilisation, puis plusieurs guides au tout début du XXe siècle pour éviter la grossesse en informant notamment les hommes et les femmes sur les périodes à risque puis du contrôle de la température afin de surveiller l'ovulation. Enfin, en 1956 la pilule contraceptive naît.
Comme vous pouvez le voir, ces méthodes sont contraignantes, devaient considérablement freiner le désir et étaient toutes d'une efficacité douteuses. Les hommes ne s'en encombraient guère, qu'ils soient maris ou amants, et c'était à la femme d'assumer un départ de grossesse.

Matériel de "faiseuse d'anges"


Si l'Église n'a jamais été favorable à la contraception, elle était d'une sévérité implacable concernant l'avortement considéré comme un meurtre, et c'est pourtant là, la véritable contraception de la femme jusqu'au milieu du XXe siècle.
Les "faiseuses d'anges" étaient des femmes pour la plupart ignorantes en médecine, agissant dans la clandestinité pour pratiquer l'avortement. Elles tenaient de petits cabinets plus ou moins propres selon la condition de la cliente ou intervenaient à domicile. À l'aide d'aiguilles à tricoter, d'injection de liquide dans l'utérus ou de conseils bien personnels (faire 4 heures de calèche en terrain accidenté, par exemple...) débarrassaient les femmes de "petits incidents". De nombreuses femmes reproduisaient ces méthodes artisanales elles-mêmes et les pertes – aujourd'hui encore dans de nombreux pays du monde – étaient énormes, non seulement pour l'effet désiré, l'embryon, mais surtout chez les femmes pour qui une anémie, une hémorragie, une infection ou un empoisonnement du sang était souvent fatal. Mais le taux de naissance et de mortalité en couche était si élevé avant l'apparition de la contraception moderne que les femmes étaient prêtes à prendre le risque pour s'éviter honte, bannissement, abandon de l'enfant, problèmes financiers ou simplement, une 8e, 10e parfois, grossesse.

Néanmoins, la grossesse même au sein de la noblesse a toujours été largement encouragée. Au XVIIIe siècle, un véritable mouvement dit "d'utéro-centrisme" se met en place. La médecine se persuade que la femme purifie ses humeurs par l'accouchement et fait corps avec l'Eglise pour encourager l'enfantement, si possible jeune et de façon répétée. Un déterminisme biologique instaurant la maternité comme une finalité des plus nécessaires, jouant sur les pressions exercées sur les femmes. Ces encouragements, principalement donnés en pression par le clergé tout au long de la chrétienté mais également par les époux désireux d'assurer leur descendance et par principe sociétal, n'étaient pas pour autant acceptés par l'ensemble des femmes (ndlr: nous avons d'ailleurs eu beaucoup de mal à rassembler des images de mondaines enceintes pour illustrer l'article...). La plupart s'y plièrent et lorsque tout se passait selon leur espérance plutôt de bonnes grâces n'hésitant pas à s'entourer de savants médecins afin de puiser des connaissances de plus en plus étendues sur leur propre corps et l'obstétrique. D'autres se devaient d'être constamment aidées et entourées par une ribambelle de nourrices et de serviteurs. Encore une fois, nous parlons d'une classe aisée ayant la possibilité de s’offrir ces services. Nous verrons dans un prochain article comment s'organisait le quotidien de ces femmes auprès de leurs enfants et quelle était leur place dans leur éducation.

Corset de maternité – XIXe siècle, France

Plus la distance entre les différences de classe s'instaurera au fil des siècles, moins la maternité s'imposera comme une obligation et plus comme un choix conjoint entre l'homme et la femme. Néanmoins, cela ne fait que quelques dizaines d'années qu'il est possible, sans se revendiquer ouvertement féministe ou scandaleuse, d'admettre publiquement un refus de maternité.
Saviez-vous qu'il y a encore 70 ans, le IIIe Reich tenait fermement la volonté des femmes dans sa main, récompensant de médailles de bronze, d'argent et d'or les mères allemandes selon leur nombre d'enfants ? 4 était la moyenne demandée, au delà de 6 vous pouviez posséder la récompense ultime qui faisait de vous l'héroïne reproductrice de la Patrie. Une valorisation que les femmes de l'époque, encore peu consultées et considérées, s'empressaient de vouloir saisir afin de prouver qu'elles aussi pouvaient jouer un rôle dans l'aventure de la nation. Tout ceci sous couvert bien évidemment d'une manipulation de masse utilisant faiblesse et ego pour masquer la domination, mais elles, en avaient-elles bien conscience ?

Le savoir ancestral sur la grossesse – de plus en plus perdu de nos jours avec les possibilités qu'offre la médecine moderne de s'en occuper pour vous – se transmettait de mère en fille. Les premiers signes, l'absence de règles induisant parfois en erreur, les malaises, le moindre changement physionomique, les "indispositions" (comprenez, les violentes nausées) et les "vapeurs" donnaient de bonnes indications à la femme sur son état qui y a souvent été formée dès le plus jeune âge car l'enfant unique sans éducation sur le savoir de la femme était rare.
Il a toujours été plus ou moins tacite, même chez les jeunes femmes vierges, qu'une femme sait à quoi s'attendre après sa première nuit de noce, quels risques elle encoure, et comment savoir qu'elle sera enceinte. Mais les témoignages sont rares et c'est seulement aux premiers mouvements de l'enfant que la certitude se fait aux yeux du monde et que l'on s'autorise à en parler en dehors de son foyer.

Mondaine enceinte, France v. 1880


Les fausses couches étaient aussi fréquentes qu'aujourd'hui et touchaient une grossesse sur quatre, mais la plupart intervenaient si tôt que les femmes ne soupçonnaient pas encore que la fécondation avait eu lieu. Elles étaient néanmoins considérés comme des drames personnels lorsqu'elles survenaient plus tard, traduisant un échec physiologique ou pire, une preuve de malédiction.
Les témoignages épistolaires se contentaient souvent de parler de poids et d'encombrement, particulièrement pénibles dans la noblesse et la bourgeoisie du fait des toilettes élaborées et serrées, ce qui avait aussi tendance à favoriser la fausse couche, particulièrement au premier trimestre, bien plus que l'épanouissement personnel. Du coup, il était recommandé aux femmes du monde de se ménager le plus possible, que ce soit durant la grossesse – on craignait particulièrement les enfants morts-nés, les éclampsies sans pouvoir tout à fait les nommer ou les difficultés en général à l'accouchement que l'on reportait sur une grosse activité – ou après l'accouchement. Ce qui n'est pas dénué de bon sens cela dit car encore aujourd'hui on considère dans de nombreux pays que la femme ne devrait pas reprendre une activité debout avant 40 jours de convalescence. Néanmoins pour briller en société, la maternité n'est guère pratique et, si certaines femmes y vouent une vraie dévotion et un amour bien ancré, la plupart s'y adonnent comme un passage obligé et relativement contraignant, surtout sachant que le nombre moyen d'enfant au XVIIIe siècle par exemple est de 7, toutes classes confondues.

Adolphe Jourdan, v. 1850, "Tendresse Maternelle"

Enfin, sans échographie, impossible de savoir si l'enfant tant attendu est un garçon ou une fille. Bien des méthodes se murmuraient de mères en filles mais jusqu'à ce jour aucune hormis la détection par l'image (possible à partir de 1970) et depuis récemment le test ADN (réservé à une stricte utilisation médicale pour éviter les avortements de confort) ne s'est montrée efficace.
Les plus connues consistent à de savants conseils sur l'étude de la lune, des nausées, de la couleur de l'urine, des cheveux du premier enfant, plus tard de la position du ventre, voir même du mouchoir, consistant à lancer un mouchoir en l'air et de voir de quel pied la femme s'avance pour le ramasser... Autant vous assurer, pour avoir un enfant et les avoir testées à ce jour où je suis enceinte de mon second, que ces méthodes tombent juste à 50% (je suis enceinte d'une fille) ce qui les démontre évidemment purement aléatoires.
Néanmoins, cette découverte, à la naissance donc le plus fréquemment, était capitale dans l'histoire et a encore une importance quasiment vitale dans certains pays du monde au XXIe siècle. Le garçon représente l'espoir de la famille, la force, il symbolise la virilité du père, pourra reprendre les travaux, la carrière, l'entreprise, et bien sûr, régner car en France la loi appelée "salique", à partir du XIVe siècle, détermine que seul un mâle peut reprendre les rênes de l'Etat. Mais même en Angleterre ou une telle loi ne s'applique pas, le désir d'engendrer un garçon a toujours été fort ; il était dit qu'une femme sur le trône portait grand malheur. Lorsque la grande Élisabeth Ière d'Angleterre succéda à son père Henri XVIII elle ne sut probablement pas à quel point il aurait désiré que ses 3 femmes successives puissent lui donner un vaillant garçon à sa place. Elle n'en fut pas moins l'une des souveraines les plus marquantes et les plus influentes du monde à l'instar de bien d'autre avant ou après elles – bien que souvent "femmes de" ou arrivées au pouvoir par coup d'État.

Si le spermatozoïde en tant que tel fut découvert en 1677 par Antoine Van Leeuwenhoek, un passionné de microscope qui se mit à tout regarder comme on l'a tous fait avec nos petits labos de chimie débutants, il fallut attendre le XXe siècle pour comprendre que c'était lui qui portait le fameux Graal, le chromosome X ou Y déterminant le sexe de l'enfant (X pour la femme, Y pour l'homme).
Des siècles et des siècles de pression sur la femme, stérile, incapable d'engendrer un mâle, faible, pour arriver finalement à la conclusion qu'elle n'y est pour rien dans ce choix. Le choc est énorme, et aucun hommage n'a jamais été rendu à toutes les persécutions qu'a subi la gent féminine sur le poids de cet aléatoire, alors qu'à mon sens, le préjudice est énorme.

L'acte le plus naturel et le plus anodin du monde s'est donc très souvent mué en une bataille sociale et morale de tous les instants pour des femmes oppressées par un monde anti-naturel et plein de préjugés. Si aujourd'hui la maternité plus ancestrale et primaire fait son grand retour de force, nous avons derrière nous des siècles et des siècles de conventions ayant empêché les femmes de vivre pleinement leur rôle de mère et de s'y épanouir.
La semaine prochaine, nous évoquerons la grossesse dans les classes de faibles extractions ainsi que les méthodes d'accouchement, qui, vous verrez, étaient parfois assez déroutantes.
Puis, je vous parlerai de l'éducation, de l'allaitement et du rapport parent-enfant en ciblant du XVe au XIXe siècle. Antoinette, notre nouvelle auteure, conclura fin janvier une analyse d'oeuvre sur la maternité.

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Illustration : Lawlie

Psst : Vous désirez en savoir plus ? Je vous conseille l'excellente trilogie de Anne Marie Sicotte "Les accoucheuses" particulièrement riche en détails et en explications sur l'art de l'enfantement et le combat des sages femmes pour faire reconnaître leur métier au XIXe siècle. Attention, le livre est en québécois, parfaitement compréhensible pour les français mais légèrement déroutant de prime abord.