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dimanche 10 janvier 2016

[#4 Au quotidien] Porter la vie, partie 2 - Classes inférieures et accouchement





La semaine dernière nous avons ouvert le chapitre sur l'enfantement et je vous ai parlé du poids de la grossesse dans la noblesse et la bourgeoisie, bien que de nombreuses de pressions s'appliquaient sur l'ensemble des femmes, les classes inférieures comprises. Nous allons revenir sur celles-ci et ferons un focus sur l'accouchement, toutes classes confondues, toujours sur une période relativement restreinte de la fin du Moyen-Âge à la fin du XIXe siècle. Si vous souhaitez que nous parlions d'une période en particulier ou d'avant cette ère, n'hésitez pas à me le dire en commentaire !

Au XVIe siècle, période que j'affectionne beaucoup, la population de la France est d'environ 16 millions de personnes et s’accroît très rapidement : pour preuve, elle passe au siècle suivant à près de 20 millions. Les naissances se succèdent et la mortalité infantile recule. Bien que marqué par de nombreux conflits, notamment de religion, le XVIe siècle est celui qui marquera le plus le progrès en particulier auprès de la médecine et de l'art d'enfanter, s'illustrant par un magnifique boom des naissances en Europe.
Depuis toujours ou presque, les classes inférieures occupent la plus grande partie de la démographie. Au Moyen-Âge, il existe peu de dénominations et de chiffres précis mais dès la Renaissance, un mode d'organisation social se met en place dont vous avez certainement déjà entendu parler :  "Noblesse", "Clergé" et "Tiers-État" (bien que nommé explicitement ainsi qu'après la Révolution Française). Le Tiers-État comprend les 9/10e de la population et englobe tous les métiers économiques. La bourgeoisie se développe et nombreux sont les marchands faisant fortune et pouvant amener leurs femmes à se faire suivre par des praticiens durant leur grossesse.
Mais la plupart des femmes de basse extraction se débrouillent et transmettent le savoir de l'enfantement de mère en fille, faisant appel aux services de sage-femmes, encore appelées "matrones", généralement âgées et possédant un savoir-faire basé sur l'expérience personnelle et la connaissance du terrain quasi exclusivement.
Si la femme pauvre accouche majoritairement sans savoir et dans un certain brouillard informatif, elle n'en est pas moins et depuis la nuit des temps, accompagnée. Les hommes, comme dans les classes élevées, sont exclus de la chambre de la parturiente mais bien d'autres accompagnantes en plus de la matrone si elle est disponible sont présentes, de la sœur à la grand mère en passant par la voisine. Plus encore que chez ces nobles dames, l'enfantement est une affaire de femmes chez les pauvres, une affaire de clan, une quasi habitude, ce qui n'en rend pas moins l'acte difficile et, encore souvent, mortel.

Accouchement avec l'aide d'une matrone, illustration du Moyen-Âge

Comme nous l'avons vu précédemment, les méthodes de contraception sont aussi nombreuses qu’inefficaces, et la femme du peuple tombe enceinte en moyenne 10 fois au cours de sa vie féconde. Nous ne reviendrons pas sur l'avortement clandestin que nous avons déjà abordé mais une autre pratique courante que l'on ne retrouve pas ou peu dans la noblesse car difficile à camoufler est également fréquente : l'abandon infantile lorsque les enfants étaient trop nombreux et qu'on ne pouvait guère les nourrir. Les églises étaient les lieux privilégiés pour abandonner un bébé, certaines possédant même un espace dédié, récemment modernisé et mis au goût du jour dans certains pays européens. Les religieux essayaient ensuite dans la mesure du possible de
recaser les orphelins chez des familles stériles, disposées à la charité, ou d'en faire des enfants de chœur. Beaucoup de patronymes français en ont d'ailleurs découlé tels que "Dieudonné", l'enfant donné à Dieu.

Néanmoins, animés par une foi sincère, le Tiers-État accueille sa descendance le plus souvent avec bienveillance, étant le fondement du mariage et la fondation d'une famille. Là encore, les garçons sont les bienvenus. Si les filles sont considérées comme moins inutiles que dans la noblesse, un solide mâle aidera son père aux travaux agricoles ou reprendra l'activité familiale. Le patriarcat est totalement ancré, le père de famille décide du mariage de ses filles, des activités de ses garçons – souvent l'aide à la vie du domaine – la carrière militaire et les ordres pour le petit dernier. Les jeunes filles aident leur mère avec les derniers nés, effectuent de nombreux travaux manuels pour l'ensemble de la famille, de la cuisine à la couture en passant par les soins aux bêtes. Une fois en âge de se marier, entre 13 et 17 ans du XIVe au XVIIIe siècle, un peu plus tard pour le XIXe, le père cherche un parti convenable et conclut un mariage avec une donation pour sa future belle famille. Argent chez les bourgeois, bien en nature chez les autres. Après le mariage, une grande et belle fête est donnée dans toutes les classes, surtout populaires, où l'on mange et boit bien plus que de raison, puis la jeune mariée passe sa première nuit avec son époux et tombe rapidement enceinte. Souvent même, on observe une plus grande fécondité chez les femmes du peuple, sans pouvoir vraiment se l'expliquer, bien qu'à l'époque, le grand air ou les vêtements moins ajustés, ajoutés à une alimentation spécifique, en seraient la cause.

La grossesse est vite repérée et la naissance du premier enfant est toujours couronnée d'un grand intérêt. Elle génère néanmoins de grandes angoisses pour la jeune femme, souvent à peine pubère, qui sont plus ou moins maîtrisées selon la facilité que les femmes de sa famille ont eu à accoucher. La croyance populaire veut en effet que les difficultés rencontrées lors des couches soient héréditaires.

La femme de basse extraction se préserve moins durant sa grossesse que la femme riche. Elle continue ses nombreux travaux, s'occupe de ses premiers enfants avec l'aide des aînés et parfois même poursuit ses activités aux champs et dans des labeurs peu recommandés. On la dit robuste, endurcie par les éléments et avec une génétique solide. S'il est certainement vrai que la pratique d'une activité physique tout au long de sa vie endurcit les femmes du peuple, nous ne possédons néanmoins pas de statistiques sur les fausses couches en campagne et encore moins sur celles qui seraient liées à une activité trop intense. Toujours est-il que les femmes enceintes n'ont guère le choix car personne ne les remplaçait et personne n'allait tenir leur intérieur à leur place. La grossesse, on faisait avec, bien loin de notre époque ou ces 9 mois font écho à une véritable mise en avant et une fierté notable.

Le jour J, lorsque les signes semblent annoncer une naissance imminente, les hommes sont éloignés de la chambre dans un isolement pouvant parfois durer plusieurs dizaines d'heures. Ils ne reverront leur femme que pour faire connaissance avec l'enfant ou si les choses devaient mal tourner. On peut facilement imaginer leurs longs moments d’inquiétudes à écouter les cris et l'activité provenant de l'autre côté de la porte. Ce n'est que très récemment que les hommes ont commencé à être admis auprès de leur femme, leur apportant soutien et bienveillance, mais là encore, cette pratique est courante en occident mais peu dans le reste du monde où l'accouchement reste affaire de femme. Seuls les médecins (toujours, ou presque, des hommes jusqu'au XIXe) présents dans les riches maisons à l'occasion et grâce aux progrès obstétriques, sont admis auprès des parturientes. Cette pratique mit du temps à s'imposer car la pudeur de la femme a longtemps empêché à ce métier, réservé de prime abord à la gent masculine, de s'imposer lors des accouchements. Hormis dans la Grèce Antique où sage-femme et gynécologue sont deux rôles bien définis et aussi valorisés l'un que l'autre, il fallut attendre le XVIe siècle pour que les médecins hommes aient à nouveau crédit auprès des femmes en couche. On s'en remettait aux matrones et c'est bien plus tard au XVIIe siècle (l'un des premiers lieux se trouvant en France à l'Hôtel-Dieu de Paris) que des écoles de sage-femmes tenues par des expérimentées du métier, ont commencé à voir le jour. Jamais médecin, et souvent méprisées par ceux ci, elles avaient néanmoins grâce à la détermination de quelques battantes, accès aux dissections et aux manuels leurs permettant de faire des filles des villages de vraies accoucheuses en pleine connaissance des enjeux médicaux de la grossesse et de la naissance. Eucharius Rosslin, médecin allemand, fit notamment profiter de son savoir aux sage-femmes avec son manuel "Der swangern Frawen und Hebammen Rosengarten" (Le Jardin de roses des femmes enceintes et des sage-femmes) donnant de nombreux conseils anatomiques et physiologiques. Mais bien avant cela, les femmes se contentaient de qui voulait bien les aider.

Matériel d'école de sage femme, XVIIIe siècle


Aujourd'hui la plupart des accouchements se font sur le dos pour permettre un certain confort au personnel médical quant-à l'accès à la "zone de travail". Mais avant la généralisation de la naissance à l'hôpital au milieu du XXe siècle, la femme accouchait souvent assise sur une chaise percée – encore utilisée dans les maternités physiologiques – ou accroupie, entourée par 2 paires de bras la soutenant fermement. Sans péridurale (découverte dès 1900 mais appliquée de façon continue à partir de 1960 uniquement) ces positions favorisaient l'expulsion et aidaient la femme à gérer sa douleur. Si on était peu regardant dans les communautés paysannes et qu'il arrivait qu'une dizaine de personnes obstruât la chambre de la future mère, dans la noblesse en revanche, ce retour à la nature et à la position animale devait absolument rester caché derrière une porte solidement fermée. Excepté, bien entendu, dans les sphères royales, où la reine, la dauphine ou la princesse du sang accouchent sous témoins derrière de simples rideaux de baldaquin et à la vue de dizaines de personnes dans une intimité dévoilée aux yeux de toute la cour.

"Mort de Jane Seymour" – Eugène Devéria 1847

Pour la majorité des femmes, l'accouchement est difficile mais connaît une fin heureuse. Néanmoins, jusqu'au XXe siècle, le taux de mortalité est incroyablement élevé par rapport aux chiffres que nous connaissons aujourd'hui en occident. Un enfant se présentant en siège (tête en haut ou transversalement), un bassin un peu étroit, un placenta un peu bas ou une tension trop élevée et la panique s'installait dans les chaumières. Contrairement à ce que dit la légende, la césarienne n'est absolument pas maîtrisée depuis l'Antiquité et il n'y a d'ailleurs aucune preuve que César lui-même soit né de cette façon – mais cela consolide le statut de force, on le concède – et si elle était fréquemment utilisée pour tenter en dernier recours de sauver l'enfant, elle s'effectuait généralement sur une mère déjà trépassée.
Il fallut attendre la toute fin du XIXe siècle avant que les femmes ne connaissent des césariennes réussies dont elles sortaient indemnes pour la "simple et bonne" raison qu'avant l'investigation de nombreux médecins, dont Pasteur, on ignorait qu'il fallut recoudre l'utérus avant de recoudre le ventre. Je vous laisse imaginer la finalité de l'opération...
De nombreuses légendes épiques de césariennes réussies et souvent loufoques circulaient néanmoins, comme ce porcher ayant pratiqué au couteau une césarienne sur sa femme comme il l'avait fait sur une truie pour la sauver en 1500, et avec succès je vous prie (aujourd'hui cette version est très contestée et n'a jamais pu être prouvée par aucun témoin ni écrit).
La vanité de la question étant néanmoins entendue, on cherchait le plus souvent à sauver la mère lorsque l'enfant se présentait mal ou pas. Dans des récits de l'époque à faire pâlir un solide médecin, on raconte comment armé d'une scie on découpait le fœtus à partir de l'intérieur pour en extraire des morceaux afin d'espérer hâter l'accouchement et sauvegarder la femme. La pauvre Gabrielle D'Estrée, maîtresse d'Henri IV, en fit les frais alors qu'elle se mourrait d'une éclampsie (surtension de fin de grossesse) à 7 mois. Naturellement, elle est tout de même décédée.

La naissance se finissait parfois donc dans un innommable bain de sang mais les versions les plus fréquentes restaient l'expulsion d'un enfant mort-né ayant été de longues heures en souffrance, ou de faible constitution et appelé à décéder quelques heures voir jours plus tard. De ce fait, un prêtre était souvent présent à la maison lors des accouchements, profitant de la durée du travail pour deviser autour d'une bonne bouteille avec les hommes du foyer. Celui-ci était aussi parfois appelé au chevet de la femme durant son accouchement pour aider à la délivrance à force de prières.

Il était plus rare de perdre la mère en suite de couche même si le phénomène encore une fois était bien plus fréquent qu'aujourd'hui, et parmi les puissants, on se souvient également de la jeune reine Jane Seymour, troisième épouse d'Henri XVIII d'Angleterre, décédée des suites d'une fièvre puerpérale après la délivrance.

Délivrance, Bas relief non daté, Grèce Antique

Une fois l'enfant né (ndlr : nous aborderons l'allaitement lors du chapitre consacré à l'éducation) il est impératif de le baptiser. La pratique recule significativement aujourd'hui mais elle était indispensable en campagne ou en ville, chez les pauvres ou les riches, jusqu'au milieu du XXe siècle. Comme la mortalité infantile était élevée et qu'un enterrement sans les sacrements de l'Église était impensable, on se hâtait d'organiser cet événement. L'enfant recevait son prénom et se voyait désigné un parrain et une marraine, souvent des membres de la famille mais parfois également des proches ou des relations diplomatiques dans les plus hautes sphères, qui d'une importance capitale se voyaient confier la tâche de veiller sur l'enfant en cas de décès ou d'incapacité de ses parents.
Le baptême était un jour de fête, le village y était convié et un beau repas était servi en l'honneur de l'événement.
La jeune mère avait quelques jours pour se remettre de ses couches où elle ne partageait pas le lit de son conjoint puis le cycle recommençait, lui permettant de retomber enceinte selon les désirs de son époux (et ceux de son corps il va sans dire).

L'histoire de l'accouchement est vaste et fascinante, nous en explorons aujourd'hui les grandes lignes mais n'hésitez pas à nous dire en commentaire si vous souhaitez revenir sur un point ou une époque en particulier.
La semaine prochaine, Antoinette, la rédactrice dédiée à l'Histoire de l'Art, commencera à aborder l'éducation et l'amour parental autour d'une analyse d’œuvre dédiée à la maternité.

Psst : Un livre référence sur l'accouchement et la grossesse dans l'Histoire ?
Une des bibles du genre à été écrite par Emmanuelle Berthiaud et se nomme "Enceinte : Une histoire de la grossesse entre art et société".
Je vais quant à moi acquérir sous peu les romans "La sage femme de Venise" de Roberta Rich et "La rebelle : femme médecin au Moyen Âge" de Valeria Montaldi afin de compléter l'excellente saga "Les accoucheuses" d'Anne Marie Sicotte dont je vous avait déjà précédemment parlé mais que je ne peux que vous recommander au vu de notre sujet.

Rédaction : Hélène Rock
Illustration : Lawlie

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