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dimanche 6 décembre 2015

[#2 Au quotidien] Prêts à tout pour se sublimer



“Aucune grâce extérieure n'est complète si la beauté intérieure ne la vivifie. La beauté de l'âme se répand comme une lumière mystérieuse sur la beauté du corps.” Victor Hugo


Nous sommes en 1861. L'impératrice de Chine Cixi s'éteint dans la citée interdite à l'âge de 72 ans.
Cette adolescente ambitieuse, devenue concubine à l'âge de 15 ans puis mère du futur empereur Tongzhi passera le reste de sa vie au pouvoir de la dynastie Qing qu'elle dirigera avec une main de fer, conseillant l'Empereur et prenant seule les rênes de l'Empire à la mort du dirigeant, sera le point de départ de ce nouvel article.
Cixi a bien conscience du pouvoir de sa beauté, et comme Agnès Sorel ou Diane de Poitiers dont nous avons parlé précédemment, elle compte bien l'entretenir jusqu'à son dernier souffle.

Impératrice Cixi vers 1900

Garder et mâcher des tranches de ginseng pur dans la bouche, avaler de la poudre de perle (dont on reconnait encore aujourd'hui les vertus protéinées nutritives notamment pour le cheveu), elle prend également l'habitude de manger régulièrement des fleurs, qu'elle applique également en masque sur la peau. Comme le veut la tradition, ses pieds seront bandés pour être les plus raffinés et les plus petits possibles, et elle adoptera tout au long de sa vie une technique de séchage du visage qui consiste à tapoter la peau avec un linge propre au lieu de le frotter.
Si les mesures qu'entreprend Cixi pour conserver sa beauté peuvent surprendre, elles n'en sont pas moins judicieuses – on s’épargnera cependant les bandes aux pieds – et ne lui font guère prendre de risques. Car en effet, au XIXe siècle en Chine, la médecine est élaborée, les composants employés sont rarement nocifs, l'alimentation est pauvre en graisse et la subtilité de l'utilisation florale conserve les femmes de la noblesse, et même les paysannes, belles et toutes en vigueur à un âge avancé. C'est d'ailleurs encore aujourd'hui en Chine et au Japon que l'on retrouve le plus de personnes centenaires, même si les chiffres s'effondrent à cause du mode de vie à l'occidentale qui rattrape les populations.

Et en parlant d'occident, retournons-y.
Nous y découvrons les soins de beauté très tôt, certains apportés directement de l'Égypte antique (inventeur du maquillage, il faut bien le dire mais plutôt utilisés dans les rites funéraires dans un premier temps), de la Grèce ou de Rome. Le Kosmètikon de Kléopatra, manuscrit de recette pour la peau et les cheveux attribué à Cléopâtre VII, sans certitude néanmoins, met en lumière le bénéfice des plantes et des onguents : le safran, le miel, le lait d’ânesse, l'huile d'olive ou encore la poudre d'iris. Coûteux au Moyen-Âge, ces ingrédients seront néanmoins utilisés tout au long de notre histoire et encore aujourd'hui. L'aromathérapie et la naturopathie font grand cas des recettes naturelles pour entretenir sa beauté, et ceci depuis des siècles et des siècles.

Mais savez-vous que certaines recettes ont précipité les femmes (et quelques hommes) dans la déchéance physique, voire dans la mort ?

Comme nous l'avons vu précédemment, à chaque époque ses codes et ses dogmes en matière de beauté. Au Moyen-Âge, la pucelle a bon dos et représente l'idéal de la femme. On est prête à tout pour se distinguer de la femme du peuple, hâlée, à l'embonpoint accentué par les grossesses, le muscle fort à force de travail aux champs. Alors on bande sa poitrine, on cache ses cheveux une fois mariée derrière un chignon très serré, qui valut à bon nombre de femme jusqu'au XIXe siècle des migraines épouvantables tant elles apposaient d'épingles tirant sur le cuir chevelu.
La brosse à dents, elle, fut inventée en Chine autour de 1490 mais elle ne fut utilisée en Europe qu'à partir du XVIIe siècle. Alors on utilise des subterfuges, cure-dents bien sûr, mais également en ruminant du fenouil, au goût comme vous le savez particulièrement fort en bouche.
La pilosité n'est pas admise chez la femme du Moyen-Âge, et pour la réduire à néant, on s'applique de l'orpiment, qui est un sulfure d'arsenic, mêlé à du sang de chauve souris et de grenouille broyée, pour la forme aurait-on envie de dire aujourd'hui. 

"Jeune femme à sa toilette"  Bellini 1515
"Repos dans une piscine orientale" Sarkis Diranian 1880


Le début de la Renaissance marquera une phobie de l'eau très ancrée en Europe. Elle est accusée de véhiculer de nombreuses maladies, de favoriser les miasmes, d'être nocive pour la peau. Elle qu'on utilisait en grande quantité pour des bains publics durant l'Antiquité jusqu'au Moyen-Âge devient impropre à l'hygiène et se voit remplacée par l'utilisation de "nettoyages à sec" de la peau, la frottant au linge parfumé par du musc, de la rose ou de la fleur d'oranger, camouflant odeurs corporelles et saleté derrière nombre d'artifices. Si cela peut paraître curieux aujourd'hui, il faut savoir qu'à cette époque, les installations sanitaires ne sont pas ce qu'on pourrait appeler "aux normes" et entraînent souvent l'utilisation d'eau croupie, pouvant contenir des bactéries mortelles, il valait mieux donc s'en passer. On place notamment à partir du XVIIe siècle, de petits sachets de fleurs séchées entre les seins afin d'apporter une odeur soutenue au corps durant des heures. L'une des potion les plus appréciée en ce temps restant la décoction de pigeon haché à la mie de pain et aux nénuphars, idéale pour le teint. Vous m'en direz des nouvelles.

Il faudra attendre l'influence de Marie-Antoinette au XVIIIe siècle, qui, une fois mère, se préférera en tenue légère et non contraignante (superbement mise en valeur par Elisabeth Vigée Lebrun) pour que les femmes lâchent un peu du lest sur les camouflages au maquillage et les paniers à armature de métal sous des robes pouvant peser plusieurs kilos et ainsi entraîner déplacements du bassin, scolioses et maux de dos en tout genre.

De nombreuses suivantes se donnaient expertes dans l'art de fabriquer des décoctions pour leurs maîtresses et les charlatans en tout genre fleurissaient pour assurer la protection hygiénique nécessaire contre les maladies en proposant des remèdes de prévention aux compositions douteuses.
Les apothicaires, métier très en vue à l'époque, aidaient non seulement à s'embellir, mais surtout à cacher ses défauts. Imaginez-vous que la femme de référence a entre 14 et 16 ans, est à peine nubile, et que pour conserver un homme, vous n'aviez pas trop intérêt à avoir le nez fort, qualifié avec la grâce de l'époque de "juif", la peau mate des filles de ferme ou la poitrine épaisse. L'apothicaire veillait alors à votre confort en vous proposant des remèdes – citant les anciens de l'Antiquité pour plus de crédibilité – à base d'animaux broyés, de minéraux toxiques ou de poudres à la composition étrange, à ingérer, appliquer, faire poser, pour gommer un défaut insistant, voire faire disparaître les stigmates d'une descendance maure, rien que ça. 

Vase d'apothicaire, 1720

Néanmoins le commerce fait recette et encore aujourd'hui vous convenez que si l'on ne s'applique plus de plomb sur le visage à la manière des dames de la haute, les femmes et les hommes sont prêts à acheter nombre de compléments alimentaires, crèmes et pilules miracles pour mincir en une nuit ou faire pousser les cheveux de 50cm en trois semaines.

Les hommes d'ailleurs, parlons-en, sont-ils en reste ?
Non bien sûr, même si les lanceurs de mode à l'instar de François 1er et de sa légendaire barbe sont plus rares et moins suivis, les hommes font aussi grand cas de leur apparence, du moins dans les sphères les plus privilégiées. Bien que les remèdes qu'ils s'appliquent soient souvent moins dangereux ou contraignants, ils utilisent également quantités de fards, cherchent à camoufler leurs défauts les plus visibles derrière une pilosité faciale ou des postiches sur la tête, mais c'est néanmoins leur allure générale qu'ils soigneront le plus car s'ils ont le choix de refuser une épouse, l'inverse est rarement vrai et l'homme se fera souvent accepter comme il est, grêlé par la variole ou débordant d'embonpoint.
Mais comme je sais que vous êtes friands d'exemples, je citerai le vert galant Henri IV qui, pour conserver une virilité intacte et honorer ses très nombreuses maîtresses, consommait de l'ail à une dose telle que son haleine repoussait même les femmes ayant le cœur le mieux accroché.

Plus nous avançons dans l'Histoire, moins les recettes et les décoctions de beauté sont dangereuses. Néanmoins les supplices que les femmes se sont infligés – des corps baleinés dans des corsets étouffants même si incroyablement seyants, des coiffures lourdes et contraignantes, etc. – ne s'arrêteront vraiment qu'après la première guerre mondiale, qui bannit presque définitivement les fanfreluches encombrantes pour des vêtements plus amples, modernes, confortables, même si toujours très élégants durant l'entre-deux-guerres. Le maintien se veut plus libre et les organes moins compressés ce qui donne une allure plus désinvolte et moins guindée très en vogue en 1920. Le naturel sur la peau et les cheveux prend également le dessus, la femme des années folles a énormément recours au maquillage, et la médecine progressant, les femmes font attention à ce qu'elles mettent sur leur peau et à ce qu'elles ingèrent. 

Libération des corps durant les années folles - Illustration catalogue

Afin de compléter et de terminer le chapitre sur la beauté du quotidien, nous aborderons bientôt deux icônes en portrait : Nell Gwynn, l'une des maîtresses, peu connue en France, du roi Charles II d'Angleterre, qui nous éclairera sur les pratiques ciblées du XVIIe siècle, et Sarah Bernhardt actrice et muse de son état qui quant à elle, nous en apprendra plus sur le XIXe siècle ayant une esthétique très codifiée et une tendance très poussée au culte de l'image chez les femmes.
Enfin, je vous ferai un focus sur l’événement tragique de l'incendie du Bazar de la Charité à Paris en 1897 qui coûta la vie à 123 femmes, principalement de la noblesse, et dont les mises encombrantes participèrent largement à leur mort.

Psst : Un bon livre pragmatique et concis sur l'Histoire de la beauté ? Je vous conseille "Histoire de la beauté : le corps et l'art d'embellir, de la Renaissance à nos jours" par George Vigarello 

Référence bibliographique :
"Produit de beauté au Moyen-Âge et au début des temps moderne" - Collectif d'auteurs.
"Histoire de la beauté" - Umberto Eco
"La Chymie charitable et facile, en faveur des dames", manuscrit 1666 par Marie Meurdrac

Illustration : https://www.facebook.com/Lawlie0

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