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dimanche 13 décembre 2015

[Portrait #1] Nell Gwyn, l’ascension par les charmes.

Londres 1660, la population se divise en classes et l'organisation politique du pays est bouleversée par la restauration anglaise qui tend à se mettre en place. Olivier Cromwell, chef du parlement protestant, nommé Lord Protecteur, rassemble des adeptes et chasse Charles Ier d'Angleterre du pouvoir, le fait décapiter et force son fils à l'exil. Ce dernier reviendra triomphant avec l'aide de ses chefs militaires – qu'il gratifiera de belles propriétés au sein du nouveau monde – à la mort de Cromwell, acclamé par les royalistes.

Mais la petite Nell Gwyn, qui naît vraisemblablement en février 1650, est bien loin de ce monde aristocratique aux enjeux capitaux fait de trahisons et d'alliances. Elle voit le jour sous le prénom d'Eléonor et personne à ce jour n'a pu établir avec certitude si son nom de famille lui a été légué par son père, dont on ne sait rien si ce n'est qu'il est décédé en prison, ou par l'inspiration de celle qui le porte. Dans les bas fonds de Londres, Nell a une sœur, Rose, et sa mère, alcoolique notoire qui finira d'ailleurs noyée dans un fossé dans un état d'ébriété avancé, est tenancière d'un bordel où elle fait à l'occasion travailler ses deux filles pas encore pubères. La jeune Eléonor, une jeune fille brune aux yeux bleus, le nez un peu fort, le front haut et la poitrine opulente, vend également des harengs, parfois des huîtres ou des navets à la criée.

Rien dans ce décor puant et malsain du Londres du XVIIe n'aurait dû appeler Nell Gwyn à devenir la plus célèbre des maîtresses de Charles II d'Angleterre.

Le Théâtre Royal de Drury Lane au XIXe siècle

Et pourtant, on est en 1662, le destin d'Eléonor va changer alors qu'elle fait la connaissance du mal dégrossi Duncan, un bourgeois de petite zone qui va lui ouvrir les portes de la sensualité précoce, et surtout, du théâtre.
Le théâtre, c'est l'amusement du pauvre et du riche, la distraction du peuple, chacun s'y presse tout en conservant une distance raisonnable avec ces artistes que l'on dit saltimbanques, aux moeurs douteuses, à la vie dissolue. Sous le protectorat de Cromwell, le théâtre fut interdit car jugé trop frivole et contraire aux principes austères du protestantisme, une mesure que s'empresse de supprimer le jeune Charles II qui considère qu'il est temps de rendre au siècle sa part de jeu et d'amusement.
C'est ainsi que Nell intègre l'établissement de Thomas Killigrew, le Théâtre Royal de Drury Lane. Néanmoins, ce n'est pas comme actrice que Mary Meggs, ancienne prostituée employée du théâtre, va embaucher Nell et sa sœur Rose, mais bien comme vendeuse d'oranges et de fruits, peu vêtues, déambulant entre les gradins, ravissant le public de phrases cocasses sur le spectacle et ses auteurs. Notre jeune ambitieuse s'amuse beaucoup, rapportant les messages des galants aux actrices, des actrices aux galants, observant le jeu des femmes et maîtresses, pouvant admirer de loin le roi et sa cour venus assister à la représentation, passant ses soirées sur les genoux des artistes dans de folles nuits en coulisses ou l'on parle politique et art en buvant plus que de raison.

Nell Gwynn, Verelst, 1666
Nell commence à se faire remarquer, elle lit mal, n'est pas instruite mais elle a le pied fin pour la danse, le regard vif, l'esprit clair, un grain de voix agréable et surtout, elle est subjuguée par les actrices, nouvelles coqueluches du théâtre alors que leur rôle était exclusivement tenu par des hommes dans les siècles précédents. Elle a 14 ans quand Killigrew décide de lui donner sa chance et de lui offrir des cours de danse et d'élocution avec celui qui deviendra son nouvel amant, puis partenaire de jeu, Charles Hart.
Le pari s'avère gagnant. Cette gamine des rues, sauvage et imprévisible apprend vite et charme son auditoire rapidement. Agrémentant sa prose de piques bien senties, elle éclaire les cœurs et fait venir les spectateurs nombreux.
Néanmoins une ombre plane sur Londres et un matin de juillet 1665 la terreur s'installe dans les foyers. Une croix est apparue sur une porte, cette croix funeste annonçant la peste. Dès lors, ce sont des milliers de foyers qui seront décimés entre 1665 et 1666 divisant la population de 20% soit environ 80 000 morts. La peste est partout, les chariots funéraires entraînent les cadavres pourrissants matin et soir vers les fosses communes, et les théâtres sont amenés à fermer leurs portes.
Le roi Charles II décide de s'éloigner de la ville avec sa cour. Il prend le départ pour Oxford où le rejoindront de nombreux acteurs, payés pour le divertir, et bien sûr, même si elle n'est pas encore officiellement remarquée par sa majesté, Nell fera partie du voyage.

Londres en feu, 1666 artiste inconnu

C'est à la fin de l'année 1666 alors que la peste commence à reculer que les théâtres rouvrent leurs portes. La popularité de Nell, qui est l'une des premières actrices à oser se travestir en homme pour les besoin d'un rôle, ne décroît pas et, couchant au gré de ses envies avec les investisseurs et les artistes, elle multiplie les succès et les audaces. C'est au bras de Charles Sackville dit Buckhurst, acteur satirique, charmant et spirituel, que la jeune femme, alors âgée de 16 ans à peine, rejoint fréquemment la cour pour des représentations hautes en couleur devant ces messieurs et dames du monde.
Sa présence piquante commence à éveiller les sens du monarque, âgé alors de 36 ans et notablement homme à femmes.
Mais c'est à un autre homme qu'elle doit son ascension, que l'on aime appeler "un intrigant", le second Duc de Buckingham, homme d'État, conseiller de confiance du roi et auteur de pièce à ses heures perdues. Buckingham supporte mal l'influence de la nouvelle maîtresse du roi, Barbara Palmer. Dite arrogante, vicieuse et vulgaire, elle mêle son avis à toute décision et s'avère dangereuse dans les décisions diplomatiques. Alors qu'à cela ne tienne, notre homme décide de pousser la belle actrice dans les bras du souverain afin d'éloigner cette maîtresse gênante. Nell accepte mais à la condition d'être bien payée, trop bien payée. C'est finalement Moll Davis, également actrice de théâtre et rivale farouche de Nell qui sera choisie, et ça marche. Le roi entretient une liaison avec cette femme plus légère et moins ambitieuse que Barbara, arrangeant bien les affaires de Buckingham.

Barbara Palmer, Sir Peter Lely, 1666
C'était sans compter sur le tempérament de feu de Nell qui, blessée dans son ego, redoublera de charme pour intéresser sa Majesté, et de ruse pour se débarrasser de Moll Davis au point de lui concocter un cocktail laxatif du tonnerre un soir ou elle était attendue dans le lit du roi !

Enfin, à 18 ans, Nell se glisse dans le lit de Charles II qu'elle appellera affectueusement "Charles le IIIe" en privé car rappelez-vous, elle a un faible pour les Charles ! Au nez et à la barbe de la distinguée Catherine de Bragance, la reine, Nell mène à présent une vie d'amusement, de luxe, faite de relations spirituelles et d'une liaison passionnée avec ce monarque dont elle est puissamment éprise.
Bien que nullement la seule à partager son lit, elle est en cette époque sa petite favorite, toujours de bonne humeur, l’œil mutin et la remarque acerbe. Expérimentée au lit, elle n'a pas froid aux yeux, ce qui divertit le souverain, attristé par les très nombreuses fausses couches de sa femme.
En 1670 Nell donnera naissance à son premier fils, le 7e de Charles, presque tous issus de maîtresses différentes.
Néanmoins, l'avenir de la jeune mère est précaire aux côtés du roi, et l'arrivée de France de la belle et racée Louise de Kéroualle lui imposera nombre de crises de jalousies, enviant sa beauté et la distinction que seule les familles nobles possèdent et dont elle, la vendeuse d'oranges, est bien dépourvue. Pour se changer les idées et séduire à nouveau le roi, Nell décide en 1671 de revenir sur scène pour un ultime rôle qui se jouera à guichet fermé. Une maîtresse royale sur les planches, on avait encore jamais vu ça à Londres. Ce sera son dernier rôle, clôturant une courte mais triomphale carrière théâtrale de 7 ans.

Nell Gwyn par Simon Verelst, 1680

Les différentes techniques de Nell pour rester dans le giron du roi fonctionnent et il lui offrira sa première maison peu de temps après son arrêt au théâtre. Elle lui donnera à cette suite un second fils, James, envoyé rapidement en France et mort sur place dans des conditions troubles. Elle obtient également le titre de Duc pour son premier enfant, Charles. Plusieurs théories circulent sur son obtention mais voici ma favorite :
Alors que le roi vient rendre visite à son petit Charles, sa mère l'appelle et lui dit "Venez donc embrasser votre père mon petit bâtard.", ce qui ne plait guère à son géniteur. "Mais sire, vous ne me donnez aucun autre titre pour lui." aurait renchéri la maligne qui voit aussitôt le garçonnet affublé du titre de Duc de Burford.

Néanmoins le conte de fée prend fin rapidement pour Nell qui, en 1685, voit mourir Charles II à l'âge de 55 ans tandis qu'elle n'en a que 35. Selon les dernières volonté du souverain à son successeur, Jacques II ("Ne laissez pas mourir de faim la pauvre Nell Gwyn"), celle ci se voit accorder une pension de 1500 livres par an, ainsi que le remboursement de ses dettes de jeu et d'investissements frivoles.
Elle s'éteint néanmoins pauvre, à force d'excès, d'une crise d'apoplexie mise sur le compte de la syphilis à l'âge de 37 ans, laissant un curieux héritage à la prison de Newgate.

Comme de nombreuses maîtresses royales, Nell Gwyn sera dépensière, obnubilée par son apparence et le gout du luxe, décorant sa maison personnelle en faisant fi de toute considération financière. Les chroniqueurs, qui n'aiment guère les filles de bas étage usant de leurs charmes, qui n'aiment guère les femmes de caractère à vrai dire, diront d'elle qu'elle avait la tête vide, une fille de rien de plus dans le cœur de ces monarques ayant besoin de distraction. En vérité, elle se distinguera par sa fougue, son bon mot (elle dit un jour à son cocher, qui se battait pour elle avec un autre homme l'ayant insultée de prostituée, "Mais je suis une pute ! trouvez donc un autre motif pour vous battre !") et son ambition. Elle se hissera, grâce à sa malice et à son amour du théâtre, des rues mal famées de Londres jusqu'aux salons confortables de Whitehall, la résidence royale, et laissera une empreinte certaine dans le règne du dernier Stuart comme étant sa maîtresse la plus mémorable.

Psst :
- Envie d'un bon roman sur Nell Gwyn ? Je vous conseille "Journal d'une Courtisane" de Priya Parmar, dévoré en une semaine.
- La grande peste de Londres suivie de son incendie exceptionnel, les mœurs de la cour de Charles II et son univers enivrant vous intéressent ? Alors courez lire les deux excellents tomes de "Ambre" par Kathleen Winsor, un best-seller captivant et une référence sur le domaine.
- Enfin, envie d'en savoir plus sur la restauration anglaise ? Je ne saurais que vous conseiller "Charles II" de Alain Boulaire.

Illustration : https://www.facebook.com/Lawlie0/

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