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dimanche 20 décembre 2015

[Portrait #2] Sarah Bernhardt, le début des icônes modernes.

Agnès Sorel, Diane de Poitiers, Nell Gwyn, ces nom ne vous sont plus inconnus, et le statut d'icône, son commencement, son histoire, vous est plus familier. Mais comment clôturer ce chapitre sans aborder le flamboyant XIXe siècle qui vient, à l’apogée de la culture mondaine, renforcer et ancrer définitivement la "star", l'icône absolue dont les hommes font l'éloge et que les femmes admirent, envient, jalousent même parfois ? 

C'est l'histoire de l'une d'elle, de son statut de muse au sein de son siècle de lumière, que nous allons découvrir aujourd'hui, et pas des moindre puisqu'il s'agit de la grande actrice Sarah Bernhardt pour laquelle fut inventé le terme de "monstre sacré", encore utilisé de nos jours. 

Le mythe de cette grande actrice française semble encore plus romanesque lorsqu'on connait la grandeur de ses contemporains et le fait qu'elle les aie en plus côtoyés, invités à sa table et même inspirés. De Victor Hugo à Marcel Proust en passant par Gustave Doré, Sarah Bernhardt à vogué au sein de ces esprits brillants, évoluant comme un poisson dans l'eau au milieu des mondanités et de l'excellence d'un Paris au sommet de son art. 


Sarah Bernhardt, Alfred Mucha.

Notre héroïne voit le jour à Paris, en 1844, c'est en tout cas ce qui ressort le plus souvent des textes, car comme Nell Gwyn précédemment évoquée, les conditions de naissance de Sarah ainsi que l'identité de son père restent floue.
Néanmoins, très tôt, son destin de comédienne semble tracé. Après un passage au couvent à Versailles ou elle se destine brièvement à la vie monacale (bien que juive, elle reçu le baptême chrétien à l'adolescence), le duc de Morny, amant de sa tante chez qui elle est élevée, souffrant de son excessive mère, décide de s'occuper de son éducation. Elle passera le concours du conservatoire à 14 ans où elle fut reçue haut la main. Sa carrière est déjà lancée.

Nous n'allons pas revenir sur l'immense palmarès de Sarah Bernhardt, car la liste de ses pièces à succès semble interminable et vous la trouverez aisément, mais nous allons plutôt nous concentrer sur sa personnalité, une formidable personnalité collectionnant les amants brillants et l'ayant emmenée au premier statut officiel de "star", à ce moment-là plus accessible avec le journal, la photographie, les débuts balbutiants du cinématographe.

Sarah Bernhardt au début de sa carrière, 1864, Nadar.

A peine lancée, Sarah impressionne. Elle a un physique gracieux, on ne peut pas dire qu'elle soit belle, mais son charisme charme et intrigue. De grands yeux sombres, le nez busqué presque aristocratique, une bouche fine et un profil racé, son port de tête est noble, sa silhouette envoûte les messieurs et sublime toutes ses tenues. Jusqu'à sa mort à l'âge de 79 ans et malgré une amputation de la jambe, la comédienne cultive son style raffiné à l'excès. Associée à la formidable mode de la fin du XIXe, l'apparence de Sarah Bernhardt, sa confiance en elle et son port de reine achèvent de l'ériger au statut de muse d'artiste, le plus connu étant Alfred Mucha, Oscar Wilde mais également Marcel Proust ou l'immense Victor Hugo dont on dit qu'elle fut l'amante. 

Amante justement, Sarah Bernhardt le fut beaucoup, bien plus que mère, d'un unique fils qu'elle eut à l'âge de 20 ans avec l'aristocrate Henri Maximilien Joseph de Ligne et qui deviendra à son tour un dramaturge reconnu. Collectionnant les conquêtes, femme de deux maris, elle aurait également monnayé ses charmes à plusieurs hommes politiques ou hommes d'influence et de passage. Sur ce point néanmoins, comme nous l'avons déjà vu, il est facile d'accorder le discrédit à une femme populaire.

Sarah Bernhardt, 1905 Reutlinger.

La personnalité de Sarah Bernhardt est extravagante, on la dit de plusieurs sources, incroyablement fantasque et menteuse, inventant contes et histoires et améliorant sa vie au fil de ses récits à tel point que, loin de s'en cacher, elle en use pour accroître son mythe. Toujours suivie par une myriade d'amis, souvent qualifiés de parasites par un entourage critique, sa maison parisienne est pleine de ces mondains, artistes pour la plupart, qui se délectent de sa prose et de sa grande fortune. Le jeu de Sarah est franc, très investi, parfois dans une forme d'excès, allant jusqu'à se blesser à plusieurs reprises au cours de ses répétitions, ce qui contribue largement à son succès et à la création de son mythe. Comme nombreuses de ses contemporaines, notre formidable actrice surfe sur l'adoration du siècle pour le morbide, d'autant qu'elle traîne la tuberculose depuis un moment, ce qui lui donne un teint blafard tant prisé à l'époque, ainsi qu'une espérance de vie qui aurait pu s'en trouver réduite. Elle se plait à se reposer dans un véritable cercueil. Cela choque la population parisienne ? Et que penseraient-ils si elle se faisait photographier dedans et en vendait des cartes postales ? L'idée a de quoi surprendre, et pourtant, Sarah Bernhardt ne fait qu'inventer ce qui est très courant aujourd'hui : la mise en scène jour après jour de son propre culte, de sa vie, à des fins que certains disent narcissiques, d'autres comme étant une formidable direction marketing. En 1912, à la fin de sa vie, elle illustre même sa personne dans un film autobiographique, l'un des premiers, "Sarah Bernhardt à Belle-Île".
"Sarah Bernhardt, à qui une jeune comédienne a déclaré qu'elle avait déjà joué plusieurs fois et qu'elle n'avait même plus de trac, aurait alors répondu : « Ne vous en faites pas, le trac, cela viendra avec le talent »."

Il faut dire que le tout Paris de la seconde moitié du XIXe siècle raffole des mondanités. Le théâtre prend une forme plus noble, côtoyer des artistes est le sommet du raffinement et chacun se presse autour des romantiques, s'affiche avec un homme politique, se presse aux ventes de charités ou dans les salons privés où l'on joue, parle philosophie avec plus ou moins de talent. La grande mode étant d'aller prendre les eaux dans les stations thermales où les galants se rencontrent, se retrouvent, agrémentant le quotidien et les discussions autour des nouvelles têtes du beau monde.

Tenue de mondaine, 1890.


La mondaine n'est plus forcément une femme d'aristocrate. Comme Sarah Bernhardt, issue d'une mère courtisane et modiste, elle peut être issue de tous milieux, avoir fait un chemin au sein de la bonne société en tant qu'artiste, parfois intellectuelle ou le plus souvent comme amante d'un charmant (ou pas nécessairement charmant, on en conviendra) époux aux relations bien placées. La mondaine reçoit beaucoup, souvent dans son hôtel particulier ou se fait inviter chez les autres, les places les plus en vue étant tenues par l'ancienne noblesse, s'y faire recevoir est toujours un privilège. Les œuvres de charité occupent également une grande place ; il est à la mode de donner de ses deniers pour aider le Paris crasse, mue parfois d'une véritable implication chrétienne mais souvent profitant du petit effet que la bienveillance offre aux dames de haut rang. Les journées sont occupées à la toilette, au choix des derniers accessoires à la mode, on se presse chez les chapeliers, gantiers et sur ces boutiques de nouvelles lingeries fines très en vue. Le soir, le théâtre reste une source sûre d'amusement, tout comme les salons de jeu, l'opéra et bien entendu, les bals toujours nombreux : il faut en effet rentabiliser l'achat de nouvelles toilettes en les exhibant au plus grand nombre.
Si aujourd'hui ces activités peuvent nous paraître extrêmement futiles, il faut bien le dire, les femmes n'avaient guère le choix, étant nées dans ces univers de fête et de richesse ou n'ayant que pour but de s'y intégrer pour fuir une vie de labeur réservée à celles qui n'avaient pas la chance de leur insolence. La maternité est loin d'être une priorité, les avortements illégaux sont nombreux, comme on le verra prochainement, et une fois l'enfant né, il est aussitôt confié à une nourrice, souvent en province jusqu'à ce qu'il ait l'âge d'être un atout, particulièrement si c'est une jeune fille à marier et à présenter au monde. Les maris et les amants s’enorgueillissent de leurs épouses, leur laissant de belles sommes à dépenser comme activité principale, car plus la femme est présentable, plus la réputation de monsieur est assurée.

"Une soirée" Jean Béraud, 1878.

Les plus affables se contentent bien de cette vie oisive, mais Sarah Berhnardt tient à sa liberté, et comme quelques-unes de ses contemporaines, les intellectuelles notamment, à l'image de George Sand un peu avant elle ou des artistes comme Camille Claudel, elle met un point d'honneur à non seulement gouverner son petit empire seule, mais également à exercer un emploi à plein temps – ici celui de comédienne. Cette force de principes constituera à forger son mythe mais également à la décrédibiliser, car si l'icône fascine, elle n'en reste pas moins peu fréquentable par la haute société, car on la dit souvent débauchée – n'oublions pas que jusqu'au milieu du XXe siècle, une femme qui a ouvertement une activité sexuelle est immédiatement cataloguée comme fille de petite vertu – et pourvue de mauvaises fréquentation.
Et il faut dire que Sarah Bernhardt en joue. Elle est proche de son enfant, vit seule une bonne partie de sa vie et achète d'extravagantes demeures à l'instar de son incroyable propriété de Belle-Île-en-Mer au large du Morbihan, fort qu'elle surnommera "les cinq parties du monde" tant la décoration est axée sur ses souvenirs de tournée à l'international. Vous pouvez d'ailleurs, si vos pas vous y emmènent, visiter le musée consacré à ses objets personnels au musée de la Citadelle Vauban.
Durant ses vacances sur l'île, elle invite des dizaines d'amis, ponctue ses journées de promenades et d'activités physiques, plutôt mal vues à l'époque, et comble de l'extravagance, s'entoure d'une véritable ménagerie composée d'une dizaine de chiens, d'oiseaux, d'animaux exotiques allant jusqu'à cohabiter avec des reptiles et, dit-on, adopter des lionceaux. Sarah Bernhardt crée le culte de la personnalité, s'amuse des on-dit, en rajoute même parfois dans ses mises en scènes toujours très théâtralisées d'elle même, même lorsqu'elle n'est pas en représentation.

Elle perd sa jambe à la suite d'une gangrène sur un genou plâtré et continue malgré tout à jouer assise, se faisant transporter en chaise à porteurs dans les tranchées durant la Première Guerre mondiale pour remonter le moral des troupes, un spectacle qui devait assurément redonner le sourire aux malheureux combattants.
En 1926, cette femme libre et excentrique décède dans son fief parisien, entourée de son fils. On la dit seule et abandonnée de tous, elle continuera pourtant à tourner jusqu'aux dernières semaines de sa vie. Gratifiée de la Légion d'honneur, Sarah Bernhardt est inhumée au cimetière du Père Lachaise et bénéficiera, fait rare pour une femme surtout à l'époque, de funérailles nationales.

Sarah Bernhardt mise en scène dans son cercueil lui servant occasionnellement de lit.

Aujourd'hui encore, l'icône Bernhardt est considérée comme la première star internationale du monde. Avec le cinéma suivront beaucoup d'autres, la diffusion de l'art s'élargissant au grand public et permettant notamment aux américaines de se démarquer sur le terrain de la médiatisation. L'éclat à la française cessera progressivement de briller, laissant derrière elle les toutes premières, Reines et Maîtresses royales, puis les artistes et les actrices, afin de laisser la place à une nouvelle forme de représentation et de culte de l'image avec les films parlants et la musique.
Les inégalités se creusant dans le monde, et avec elles leur médiatisation, l'étalage de richesse et d'extravagance paraît mal placé, mais il a été le point de mire d'une société entière qui a inspiré un nombre considérable d’œuvres en faisant l'apologie comme les superbes toiles de Jean Béraud retraçant ce que la Belle Époque avait de plus fin, ou la décrédibilisant à l'instar de Madame Bovary par exemple, de Gustave Flaubert, très critique envers ce monde qu'il considérait comme superficiel et arrogant.

Psst :
- Envie d'en savoir plus sur Sarah Bernhardt ? Ca tombe bien, elle a écrit son autobiographie !
- Une jolie balade dans Paris entre 1830 et 1910 avec ce livre très bien documenté.
- Madame Bovary, une critique acerbe de la mondanité, à lire absolument une fois dans sa vie.

1 commentaire:

  1. je note les deux références des livres, article plus strass que le premier.

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