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dimanche 17 avril 2016

[#2 Explication d'oeuvre] Vampire d'Edvard Munch

Edvard Munch, Vampire
Nous continuons aujourd'hui sur le thème de la violence domestique.
Comme le disait Hélène dans le dernier article du blog, la violence domestique est peu représentée en peinture. C'est évidemment un tabou. Même si le sujet pourrait s'apparenter de loin à une scène de genre, qui voudrait voir en peinture, dans son salon, au dessus de sa cheminée un homme battre sa femme ?

Il faudra attendre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle pour que la peinture aille chercher de nouveaux sujets dans des univers un peu "craignos".
A cette époque les collectionneurs et les acheteurs sont prêts à acquérir de telles œuvres. Quant aux artistes, portés par le mal-être de la vie moderne, ils s'épanchent comme jamais sur leurs toiles.

J'ai beaucoup réfléchi à une œuvre en lien avec la violence conjugale, thème qui nous tenais à cœur et que l'on voulait aborder dans La plume et le lys.
J'ai alors pensé au Vampire d'Edvard Munch. Je connais bien ce tableau, tout bêtement parce qu'il s'agit de mon fond d'écran d'ordinateur depuis plus de cinq ans. Je le vois tous les jours, parfois même sans le voir, j'ai eu le temps de m'en imprégner, et c'est seulement en me creusant les méninges pour le choix d'un tableau à commenter pour le blog que la violence sous-jacente dans l’œuvre me frappa de plein fouet.

L'artiste est le génialissime peintre norvégien Edvard Munch. Né en 1863, mort en 1944, il est une figure marquante du courant artistique que l'on appelle expressionnisme.
Doté d'un immense talent, Edvard Munch voudra très vite dépasser les qualités requises d'un bon peintre telles qu'on les entendait à la fin du XIXème siècle - maîtrise du dessin, des couleurs, de la perspective et du portrait.
Il voulait en effet être un véritable artiste, au sens où on l'entend couramment aujourd'hui : transmettre ses émotions et faire de la peinture un langage par l'expression picturale.

Les peintres expressionnistes ne décrivent ou ne racontent plus une histoire, ils expriment des émotions. Munch s'exprime ainsi à merveille dans ses œuvres, on y entend sa parole, sa voix, des pleurs et même des cris. Aujourd'hui on dirait de lui qu'il est un "hyper-sensible".
Il a vécu des expériences douloureuses durant son enfance, la perte de sa maman à l'âge de cinq ans suivi par le décès de sa soeur cadette quand il était adolescent.
C'est par le prisme de ce souvenir douloureux, dans un tableau nommé L'enfant malade, que le jeune peintre aboutira à trouver ce style unique qui deviendra sa signature picturale : un abandon de l'espace picturale, la modification des formes pour les rendre plus expressives, l'emploi libre de la couleur pour accentuer les impressions.
Munch a surtout compris qu'il pouvait tirer de ses émotions douloureuses une force créatrice.

A présent revenons-en à notre Vampire, l’œuvre de Munch qui s'apparente selon moi le mieux à ce qu'est la violence domestique.
D'abord je voudrais m'excuser de vous présenter ici la peinture d'un homme subissant la violence d'une femme.
Ça m'embête car c'est injuste, nous savons que la plupart du temps c'est l'inverse qui s'est produit. Siècles après siècles, des hommes ont commis des violences conjugales... mais les femmes ne prenaient pas les plumes pour l'écrire ni les pinceaux pour le dire.
La peinture de Munch me paraît assez libre pour que nous puissions sans trop de difficultés transposer dans la figure de l'homme courbé et abattu la souffrance d'une femme maltraitée et dans celle de la femme rousse la figure d"un homme violent.
Cette peinture reflète à mes yeux ce qu'est une violence domestique. Ici on sent que la violence se joue dans un cercle très fermé et que la scène est intime, cachée, tue, secrète. On n'en parle pas dans les salons bourgeois, sur les promenades le long de la jetée ou dans les cafés sur la grand place.
Le cerne noir, le clair-obscur, l'imbrication des lignes des deux personnages, tout amène à cela. J'aurais envie de parler de terrier, de tanière, de grotte. Cette peinture retranscrit le passage ou l'habitat domestique se fait plus angoissant que rassurant, plus enfermant que protecteur.

Dans ce confinement on observe deux personnes. Ils ne nous regardent pas et sont dans leur intimité. Un personnage est en repli total, dans une position presque fœtale. Il a la tête dans le bras, il se protège ou se désespère mais ne semble plus vraiment résister.
Vaincu, il présente sa nuque, la partie du corps symbolisant le plus la soumission, à l'autre personnage qui le domine.
Mais là où l’œuvre nous dérange le plus c'est que ses mains semblent cajoler l'agresseur, le prendre dans ses bras, le retenir presque ... En tant que spectateur on est embêté, gêné de voir ce personnage soumis. C'est cette même gène que l'on ressent face à des femmes maltraitées qui restent avec leurs agresseurs...
Prisonnières d'une relation sensée être amoureuse, familiale, respectueuse et apaisante, elles subissent dans le cadre domestique la cruauté d'un conjoint.
Ici le personnage roux s'étend complètement sur le corps du pauvre recroquevillé, qu'il enferme de ses bras épais, protecteurs ou dangereux, tandis que sa chevelure flamboyante s'écoule comme des coulées de sang sur le prisonnier.
Munch a complètement imbriqué les deux protagonistes. De cette fusion semble d'ailleurs découler le processus d'effacement du personnage courbé dont le corps disparaît dans les méandres sombres du reste de la toile.
Cette œuvre a été exposée la première fois en 1893 sur la très belle avenue Unter den Linden à Berlin.

L'impact sur le public fut très fort. C'est le public, relayé par les critiques et la presse qui lui donna d'ailleurs son nom actuel : Le vampire.
Car oui, à l'origine Munch avait nommé ce tableau le baiser. Comme il l'a dit lui-même, au départ il voulait simplement peindre une femme embrassant un homme sur la nuque...
Munch parle indirectement dans ce tableau de sa relation amoureuse avec Dagny Juel, une femme mariée à l'un de ses ami. Elle était très belle, très indépendante, très courtisée. Elle fut souvent peinte par Edvard qui devait être très amoureux d'elle...
Cette œuvre est bouleversante car elle reflète le caractère exutoire de la peinture. J'imagine le jeune peintre de trente ans se rendant compte que la scène qu'il avait peinte était loin d'être anodine. Que la relation qu'il avait avec cette femme n'était pas une relation équilibrée.

Son baiser est celui d'un vampire, qui, à l'instar du personnage mythique, charismatique et séduisant, est aussi mortellement destructeur.
Dans l'Histoire de la peinture c'est selon moi l’œuvre qui nous parle le plus de violence domestique : une relation destructrice et malsaine dont le vrai visage n'est connu que de deux protagonistes : la victime et son agresseur.
De ce tableau et de son histoire nous pouvons tirer un élément intéressant : la communication, qu'elle passe par la parole, l'art, l'écriture permet de mieux nous comprendre et, en cela, de faire sortir et apparaître les problèmes que nous portons. Je ne peux qu'encourager les femmes à parler et s'écouter mutuellement. La violence conjugale est discrète et invisible. Le silence fait le lit des agresseurs.

Parler à des personnes de confiance d'un "problème de couple" permet aussi parfois d'ouvrir les yeux sur une vérité qui dérange.
Comme Munch qui a peut-être compris une fois son tableau exposé aux yeux de tous qu'il ne s'agissait pas d'un simple baiser.

Article : Antoinette Novel 

Crédit Oeuvre : Edvard Munch, Vampire, 1893. Huile sur toile, 100 x 110. Collection privée.

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