Test

dimanche 3 janvier 2016

[#3 Au quotidien] Porter la vie, partie 1 - La noblesse et bourgeoisie





Donner la vie est une évidence depuis la nuit des temps, l'acte le plus essentiel existant pour pérenniser toute espèce. Un homme et une femme joignent leurs corps, la femme tombe enceinte, elle accouche, elle alimente, elle élève, puis ce nouvel être crée à son tour un nouveau cycle. Dans les faits, tout ceci est immuable et paraît presque simple.
Néanmoins, la grossesse et l'accouchement, d'une façon générale ce qu'on appelait encore il n'y a pas très longtemps "l'enfantement", est l'acte ayant conduit le plus de femme à la répudiation, à la honte et à la mort.
C'est cette aventure incroyable qui, au lieu d'être naturelle, a renforcé à tout jamais les inégalités entre les êtres, et en particulier envers le sexe féminin, que nous allons vous raconter dans ce nouveau chapitre.

Il faut savoir que le processus exact de l'installation d'un embryon dans le corps d'une femme n'est connu que depuis le XVIIIe siècle. Avant, toutes les théories allaient de bon train et même si certains croquis anatomiques de la Renaissance ont très tôt posé les évidences de la matrice féminine et de l'accouchement notamment grâce à la dissection. Mais c'est très tard grâce à Lazzaro Spallazani que le monde a découvert que les deux sexes avaient à égalité leur part du gâteau dans la conception. Il était répandu de penser que la femme possédait déjà un embryon dans l'utérus qui activait sa croissance à la réception du sperme (oui, comme les poules). On pensait également que la capacité d'un homme à faire des garçons était un bon barème à sa virilité, et bien sûr, qu'un couple maudit, principalement par l'action de la femme, était condamné à n'enfanter que des filles ou à cumuler les accidents de parcours.
Vous ne pouvez vous imaginer l'immense soulagement pour l'ensemble du beau sexe lorsque la science a enfin posé son diagnostic sur le choix de Dieu, garçon ou fille, c'est le spermatozoïde qui porte le génome, et non pas l'ovule, la femme n'est donc pas "responsable".
Car en effet, dans les familles, qu'elles soient nobles, bourgeoises ou de basse extraction, il était indispensable d'avoir au moins un garçon pour assurer l'héritage, qu'il soit culturel, terrien ou financier. Nous reviendrons dans la partie 2 de "porter la vie" sur les classes inférieures et allons nous concentrer aujourd'hui sur la pression exercée dans les milieux riches.

Les règles du jeu ne changent guère du Moyen Âge au début du XXe siècle. Rarement convention fut aussi longue à changer. Un enfant bien né est un enfant conçu dans le mariage, entre une femme nubile (dès les premières règles) et son mari. Dans toutes les cours françaises, à toutes les époques, dans toutes les familles bien nées, une femme qui tomberait enceinte hors mariage serait couverte de réprobation. On ferait partir la mère dès que son état commencerait à se voir, prétextant un problème de santé (bien que vous vous doutez que la populace était rarement dupe, ayant certainement vécu la même chose l'année écoulée), puis naître l'enfant en campagne, on le confierait alors à une nourrice dans le meilleur des cas, à un couvent, une famille de paysan, qui que ce soit qui nous sortirait de ce mauvais pas. La femme reviendrait quelques jours après son accouchement et devrait en garder le moins de séquelle possible afin de ne surtout pas afficher sa condition. Revoir l'enfant ? Au bon vouloir du père de famille mais souvent pour effacer la honte et enterrer l'événement, on poussait les jeunes mères à purement et simplement oublier cette maternité impie.

Richard Redgrave 1851, "Un père chasse sa fille et son enfant illégitime"

Il était évidemment plus facile pour une femme de tomber enceinte de son amant une fois mariée, ce qui bien sûr arrivait fréquemment. Sans tests ADN, sans preuve et souvent dans le secret, le mari cocufié n’apprenait jamais qu'il n'était pas le père et l'honneur était sauf.
De nos jours, éviter une grossesse est devenu un acte quotidien. Nous avons cette chance depuis l'équivalent d'une seconde dans l'Histoire de l'humanité, mais nos ancêtres, elles, ont souvent mis leur vie en grand danger pour éviter de tomber enceinte et profiter ainsi d'une liberté sexuelle relative. On s'introduisait différentes substances dans le vagin car, si le rôle de chacun n'était pas encore bien établi, il a toujours été relativement évident que c'est l'acte sexuel qui déclenche la grossesse. Le miel, le cèdre, la pulpe de figue ou de grenade, ou bien plus surprenant comme des mélanges à base de plomb et d'huile voir d'excréments d'animaux, servaient de remède contraceptif.
Sans grand succès ces méthodes laissaient place à des tampons de laine ou de tissus placés au début du col de l’utérus, et évidemment, le fameux retrait, voir l'abstinence avant et après les règles, ce qui, je ne vous l'apprends pas, n'était guère efficace.
Néanmoins, le préservatif masculin apparaît très tôt dans l'Histoire. Officiellement au XVIe siècle en Asie, les archéologues ont retrouvé des étuis péniens en bois datant d'il y a 6000 ans ! Nous devons à Gabriel Fallope en 1564 le premier préservatif moderne en Europe, un fourreau en lin imbibé d'herbes. Suivront les premiers spermicides, les préservatifs en caoutchouc à laver à chaque utilisation, puis plusieurs guides au tout début du XXe siècle pour éviter la grossesse en informant notamment les hommes et les femmes sur les périodes à risque puis du contrôle de la température afin de surveiller l'ovulation. Enfin, en 1956 la pilule contraceptive naît.
Comme vous pouvez le voir, ces méthodes sont contraignantes, devaient considérablement freiner le désir et étaient toutes d'une efficacité douteuses. Les hommes ne s'en encombraient guère, qu'ils soient maris ou amants, et c'était à la femme d'assumer un départ de grossesse.

Matériel de "faiseuse d'anges"


Si l'Église n'a jamais été favorable à la contraception, elle était d'une sévérité implacable concernant l'avortement considéré comme un meurtre, et c'est pourtant là, la véritable contraception de la femme jusqu'au milieu du XXe siècle.
Les "faiseuses d'anges" étaient des femmes pour la plupart ignorantes en médecine, agissant dans la clandestinité pour pratiquer l'avortement. Elles tenaient de petits cabinets plus ou moins propres selon la condition de la cliente ou intervenaient à domicile. À l'aide d'aiguilles à tricoter, d'injection de liquide dans l'utérus ou de conseils bien personnels (faire 4 heures de calèche en terrain accidenté, par exemple...) débarrassaient les femmes de "petits incidents". De nombreuses femmes reproduisaient ces méthodes artisanales elles-mêmes et les pertes – aujourd'hui encore dans de nombreux pays du monde – étaient énormes, non seulement pour l'effet désiré, l'embryon, mais surtout chez les femmes pour qui une anémie, une hémorragie, une infection ou un empoisonnement du sang était souvent fatal. Mais le taux de naissance et de mortalité en couche était si élevé avant l'apparition de la contraception moderne que les femmes étaient prêtes à prendre le risque pour s'éviter honte, bannissement, abandon de l'enfant, problèmes financiers ou simplement, une 8e, 10e parfois, grossesse.

Néanmoins, la grossesse même au sein de la noblesse a toujours été largement encouragée. Au XVIIIe siècle, un véritable mouvement dit "d'utéro-centrisme" se met en place. La médecine se persuade que la femme purifie ses humeurs par l'accouchement et fait corps avec l'Eglise pour encourager l'enfantement, si possible jeune et de façon répétée. Un déterminisme biologique instaurant la maternité comme une finalité des plus nécessaires, jouant sur les pressions exercées sur les femmes. Ces encouragements, principalement donnés en pression par le clergé tout au long de la chrétienté mais également par les époux désireux d'assurer leur descendance et par principe sociétal, n'étaient pas pour autant acceptés par l'ensemble des femmes (ndlr: nous avons d'ailleurs eu beaucoup de mal à rassembler des images de mondaines enceintes pour illustrer l'article...). La plupart s'y plièrent et lorsque tout se passait selon leur espérance plutôt de bonnes grâces n'hésitant pas à s'entourer de savants médecins afin de puiser des connaissances de plus en plus étendues sur leur propre corps et l'obstétrique. D'autres se devaient d'être constamment aidées et entourées par une ribambelle de nourrices et de serviteurs. Encore une fois, nous parlons d'une classe aisée ayant la possibilité de s’offrir ces services. Nous verrons dans un prochain article comment s'organisait le quotidien de ces femmes auprès de leurs enfants et quelle était leur place dans leur éducation.

Corset de maternité – XIXe siècle, France

Plus la distance entre les différences de classe s'instaurera au fil des siècles, moins la maternité s'imposera comme une obligation et plus comme un choix conjoint entre l'homme et la femme. Néanmoins, cela ne fait que quelques dizaines d'années qu'il est possible, sans se revendiquer ouvertement féministe ou scandaleuse, d'admettre publiquement un refus de maternité.
Saviez-vous qu'il y a encore 70 ans, le IIIe Reich tenait fermement la volonté des femmes dans sa main, récompensant de médailles de bronze, d'argent et d'or les mères allemandes selon leur nombre d'enfants ? 4 était la moyenne demandée, au delà de 6 vous pouviez posséder la récompense ultime qui faisait de vous l'héroïne reproductrice de la Patrie. Une valorisation que les femmes de l'époque, encore peu consultées et considérées, s'empressaient de vouloir saisir afin de prouver qu'elles aussi pouvaient jouer un rôle dans l'aventure de la nation. Tout ceci sous couvert bien évidemment d'une manipulation de masse utilisant faiblesse et ego pour masquer la domination, mais elles, en avaient-elles bien conscience ?

Le savoir ancestral sur la grossesse – de plus en plus perdu de nos jours avec les possibilités qu'offre la médecine moderne de s'en occuper pour vous – se transmettait de mère en fille. Les premiers signes, l'absence de règles induisant parfois en erreur, les malaises, le moindre changement physionomique, les "indispositions" (comprenez, les violentes nausées) et les "vapeurs" donnaient de bonnes indications à la femme sur son état qui y a souvent été formée dès le plus jeune âge car l'enfant unique sans éducation sur le savoir de la femme était rare.
Il a toujours été plus ou moins tacite, même chez les jeunes femmes vierges, qu'une femme sait à quoi s'attendre après sa première nuit de noce, quels risques elle encoure, et comment savoir qu'elle sera enceinte. Mais les témoignages sont rares et c'est seulement aux premiers mouvements de l'enfant que la certitude se fait aux yeux du monde et que l'on s'autorise à en parler en dehors de son foyer.

Mondaine enceinte, France v. 1880


Les fausses couches étaient aussi fréquentes qu'aujourd'hui et touchaient une grossesse sur quatre, mais la plupart intervenaient si tôt que les femmes ne soupçonnaient pas encore que la fécondation avait eu lieu. Elles étaient néanmoins considérés comme des drames personnels lorsqu'elles survenaient plus tard, traduisant un échec physiologique ou pire, une preuve de malédiction.
Les témoignages épistolaires se contentaient souvent de parler de poids et d'encombrement, particulièrement pénibles dans la noblesse et la bourgeoisie du fait des toilettes élaborées et serrées, ce qui avait aussi tendance à favoriser la fausse couche, particulièrement au premier trimestre, bien plus que l'épanouissement personnel. Du coup, il était recommandé aux femmes du monde de se ménager le plus possible, que ce soit durant la grossesse – on craignait particulièrement les enfants morts-nés, les éclampsies sans pouvoir tout à fait les nommer ou les difficultés en général à l'accouchement que l'on reportait sur une grosse activité – ou après l'accouchement. Ce qui n'est pas dénué de bon sens cela dit car encore aujourd'hui on considère dans de nombreux pays que la femme ne devrait pas reprendre une activité debout avant 40 jours de convalescence. Néanmoins pour briller en société, la maternité n'est guère pratique et, si certaines femmes y vouent une vraie dévotion et un amour bien ancré, la plupart s'y adonnent comme un passage obligé et relativement contraignant, surtout sachant que le nombre moyen d'enfant au XVIIIe siècle par exemple est de 7, toutes classes confondues.

Adolphe Jourdan, v. 1850, "Tendresse Maternelle"

Enfin, sans échographie, impossible de savoir si l'enfant tant attendu est un garçon ou une fille. Bien des méthodes se murmuraient de mères en filles mais jusqu'à ce jour aucune hormis la détection par l'image (possible à partir de 1970) et depuis récemment le test ADN (réservé à une stricte utilisation médicale pour éviter les avortements de confort) ne s'est montrée efficace.
Les plus connues consistent à de savants conseils sur l'étude de la lune, des nausées, de la couleur de l'urine, des cheveux du premier enfant, plus tard de la position du ventre, voir même du mouchoir, consistant à lancer un mouchoir en l'air et de voir de quel pied la femme s'avance pour le ramasser... Autant vous assurer, pour avoir un enfant et les avoir testées à ce jour où je suis enceinte de mon second, que ces méthodes tombent juste à 50% (je suis enceinte d'une fille) ce qui les démontre évidemment purement aléatoires.
Néanmoins, cette découverte, à la naissance donc le plus fréquemment, était capitale dans l'histoire et a encore une importance quasiment vitale dans certains pays du monde au XXIe siècle. Le garçon représente l'espoir de la famille, la force, il symbolise la virilité du père, pourra reprendre les travaux, la carrière, l'entreprise, et bien sûr, régner car en France la loi appelée "salique", à partir du XIVe siècle, détermine que seul un mâle peut reprendre les rênes de l'Etat. Mais même en Angleterre ou une telle loi ne s'applique pas, le désir d'engendrer un garçon a toujours été fort ; il était dit qu'une femme sur le trône portait grand malheur. Lorsque la grande Élisabeth Ière d'Angleterre succéda à son père Henri XVIII elle ne sut probablement pas à quel point il aurait désiré que ses 3 femmes successives puissent lui donner un vaillant garçon à sa place. Elle n'en fut pas moins l'une des souveraines les plus marquantes et les plus influentes du monde à l'instar de bien d'autre avant ou après elles – bien que souvent "femmes de" ou arrivées au pouvoir par coup d'État.

Si le spermatozoïde en tant que tel fut découvert en 1677 par Antoine Van Leeuwenhoek, un passionné de microscope qui se mit à tout regarder comme on l'a tous fait avec nos petits labos de chimie débutants, il fallut attendre le XXe siècle pour comprendre que c'était lui qui portait le fameux Graal, le chromosome X ou Y déterminant le sexe de l'enfant (X pour la femme, Y pour l'homme).
Des siècles et des siècles de pression sur la femme, stérile, incapable d'engendrer un mâle, faible, pour arriver finalement à la conclusion qu'elle n'y est pour rien dans ce choix. Le choc est énorme, et aucun hommage n'a jamais été rendu à toutes les persécutions qu'a subi la gent féminine sur le poids de cet aléatoire, alors qu'à mon sens, le préjudice est énorme.

L'acte le plus naturel et le plus anodin du monde s'est donc très souvent mué en une bataille sociale et morale de tous les instants pour des femmes oppressées par un monde anti-naturel et plein de préjugés. Si aujourd'hui la maternité plus ancestrale et primaire fait son grand retour de force, nous avons derrière nous des siècles et des siècles de conventions ayant empêché les femmes de vivre pleinement leur rôle de mère et de s'y épanouir.
La semaine prochaine, nous évoquerons la grossesse dans les classes de faibles extractions ainsi que les méthodes d'accouchement, qui, vous verrez, étaient parfois assez déroutantes.
Puis, je vous parlerai de l'éducation, de l'allaitement et du rapport parent-enfant en ciblant du XVe au XIXe siècle. Antoinette, notre nouvelle auteure, conclura fin janvier une analyse d'oeuvre sur la maternité.

N'hésitez pas à partager cet article si il vous a plu et à liker notre page facebook pour vous tenir au courant de toutes les publications à venir !

Illustration : Lawlie

Psst : Vous désirez en savoir plus ? Je vous conseille l'excellente trilogie de Anne Marie Sicotte "Les accoucheuses" particulièrement riche en détails et en explications sur l'art de l'enfantement et le combat des sages femmes pour faire reconnaître leur métier au XIXe siècle. Attention, le livre est en québécois, parfaitement compréhensible pour les français mais légèrement déroutant de prime abord.

1 commentaire:

  1. je vais donc lire la trilogie que tu me proposes, dans le style roman, il y a '' le voleur de morts'' moins girly, qui explique les déboires de l'enfantement. Ton site va devenir mon blog de chevet.

    RépondreSupprimer